Sur le blog de l’avocat Gilles Devers, on peut lire : Rétention de sûreté : la loi allemande inconstitutionnelle – 5 mai 2011

http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/archive/2011/05/05/retention-de-surete-la-loi-allemande-inconstitutionnelle.html

Ne pas confondre la loi et des paroles de comptoir… Ca sent le roussi pour la rétention de sûreté, créée par la loi du 25 février 2008, à la grande époque du sarkozysme triomphant. Une grande et belle loi pour protéger les gentils des méchants.

Cette loi a créé un article 706-53-13 dans le code de procédure pénale : « Les personnes dont il est établi, à l’issue d’un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l’exécution de leur peine, qu’elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l’objet à l’issue de cette peine d’une rétention de sûreté ». Donc le condamné a été jugé, a purgé sa peine, mais il reste en taule.

Le Conseil constitutionnel, dans son immense sagesse (Sagesse n’est pas folie) nous a réalisé un splendide triple salto arrière : la rétention de sûreté ne repose pas sur la culpabilité de la personne condamnée mais a pour but d’empêcher les personnes de récidiver ; aussi cette mesure n’est pas une peine ; elle échappe donc à la nécessité de justifier qu’on garde en taule pour les fautes commises (21 février 2008, no 2008-562 DC). Trop beau : Rachida en frétillait

La France rejoignait les huit Etats européens ayant adopté des systèmes du même acabit : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Italie, le Liechtenstein, Saint-Marin, la Slovaquie et la Suisse.

Et bing, tombe un arrêt de la CEDH du 17 décembre 2009 (19359/04), revenu remettre les pieds sur terre à tout ce petit monde allumé. C’est la loi allemande qui était en cause, mais la solution est transposable aux autres pays, ce d’autant plus que la Cour s’était déjà prononcée sur des hypothèses proches : pas de liens entre une faute et une sanction.

La détention doit résulter de la condamnation, se produisant « à la suite et par suite » – ou « en vertu » – « de celle-ci » (CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, no 7906/77). Il doit exister un lien de causalité suffisant, qui se détend au fil du temps, mais qui se rompt si le maintien en détention perd son caractère raisonnable (CEDH, Waite c. Royaume-Uni, 10 décembre 2002, no 53236/99). A défaut, une période de détention de sureté, régulière à l’origine, devient une privation de liberté arbitraire, incompatible avec l’article 5 qui définit le régime général de la détention.

L’alinéa c) de l’article 5 § 1 prévoit que la détention peut se justifier « lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ».

Mais la Cour explique dans sa décision du 17 décembre 2009 que ce motif de détention ne permet pas de fonder une politique de prévention générale dirigée contre une personne ou catégorie de personnes qui se révèlent dangereuses par leur propension continue à la délinquance : « Il se borne à ménager aux Etats le moyen d’empêcher une infraction concrète et déterminée ». C’est le but de l’article 5 : assurer que nul ne soit arbitrairement dépouillé de sa liberté.

Le Législateur allemand a du aménager cette loi, qui posait d’ailleurs bien difficulté de mise en œuvre, et elle a concocté un nouveau système d’enfermement, et pour toujours. Genre : on a tout faux, mais on fonce.

Cette fois-ci, c’est la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui a fait propre, par une décision de ce 4 mai, déclarant la rétention de sûreté inconstitutionnelle. La Cour n’a pas nié le problème à traiter, mais elle a formulé une nouvelle conception de la détention, dans laquelle l’Etat est obligé de prendre toutes les mesures possibles afin de réintégrer les détenus : prise en compte de la formation professionnelle, contactes familiaux, psycho- et sociothérapie, et ce dès le début de la détention. C’est en Allemagne, mais le chemin est tout tracé pour la loi française.

Le Süddeutsche Zeitung n’y va pas de main morte pour saluer cette belle décision de justice : « On a rarement lu une décision de Karlsruhe si détaillée, rarement senti une si grande méfiance envers le législateur, rarement lu une pondération si précise entre liberté et sécurité ». Preuve pour le journal que la Cour « n’accepte pas que la politique judiciaire soit faite avec des paroles de comptoir ».

Des paroles de comptoir… Rachida et Nicolas ne vont pas être contents.