Par ÉRIC FAVEREAU
Vendredi soir, c’était soirée de rentrée pour le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire qui rassemble des soignants en psychiatrie. Une drôle d’ambiance nimbée de brouillard. Qui parle, aujourd’hui, des fous ? La crise est là, partout. Et les fous disparaissent dans le silence de chambres d’isolement de plus en plus formatées.
Le collectif des 39 s’est créé, au lendemain du discours de Nicolas Sarkozy, en décembre 2008 à l’hôpital d’Antony. Un discours dans lequel le malade mental n’était perçu que comme une menace. Quatre ans de lutte pour le collectif afin de secouer un monde psychiatrique lassé et silencieux. Et il s’est imposé comme interlocuteur, insistant sur l’importance de «l’hospitalité» dans la prise en charge du patient. Pour autant, une loi qui oblige, entre autres, à des soins sans consentement a été votée.
Sarkozy parti, que faire ? Contre qui se battre ? La gauche a souvent brillé par son indifférence à la psychiatrie. Aucune idée particulière dans le programme de Hollande. Le think tank Terra Nova vient de rendre public des propositions de facture très classique sur la psychiatrie publique. Depuis que Marisol Touraine est arrivée au ministère de la Santé, pas un mot sur le sujet, ni même sur les unités psychiatriques, quand elle a évoqué le «nouveau pacte» avec l’hôpital.«Nous avons rencontré le nouveau conseiller santé publique de Marisol, a raconté, vendredi soir, Paul Machto, psychiatre. Très sympathique, il nous a écoutés.» Aucun projet dans l’immédiat au ministère. «Ce qui est à craindre, c’est qu’il ne se passe rien», a lâché le Dr Hervé Bokobza. «Notre problème est là : cet immobilisme n’est pas en soi une bonne nouvelle. Car cela signifie la poursuite du désastre dans lequel nous nous débattons.» Un désastre mou. «Je ne suis pas sûr que tout le monde a bien conscience de la dégradation de la prise en charge des malades», a raconté une jeune interne. «Les chambres d’isolement ? Elles sont tellement rentrées dans les usages qu’on en plaisante entre nous. Alors la tienne, elle est 4 étoiles ? Capitonnée.»
Le Dr Patrick Chemla, chef de secteur à Reims, insiste sur l’urgence de recueillir et diffuser des témoignages de patients. «Il faut que les malades soient présents, parlent, racontent, il faut donner la parole aux proches également.» Réponse agacée d’un des participants :«Cela fait vingt ans que l’on se plaint, que l’on dénonce la situation. C’est trop déprimant, ce n’est pas ainsi que l’on va mobiliser.» Des «Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social» sont prévues le 31 mai et 1er juin… 2013. C’est, loin, bien loin. «Le changement, c’est maintenant» , a ironisé Hervé Bokobza. Mais c’est quand, maintenant ?