Intervention de Pierre Paresys au colloque du Syndicat de la Magistrature le 23/11/2012

LIBERTÉ, SÉCURITÉ, SOINS : LA NOUVELLE DIAGONALE DU FOU : Les soignants à l’épreuve des logiques gestionnaire et sécuritaire en matière de soins psychiatriques contraints – Pierre PARESYS La politique de secteur en psychiatrie sur quelques dizaines d’années a permis à un grand nombre d’équipes d’organiser, notamment dans les centres médico-psychologiques, ou dans d’autres structures, un accueil, une disponibilité, une écoute dans des lieux ouverts et hospitaliers, dans la cité, au plus près de la population ; ces lieux sont pour le moment souvent accessibles, sans excès de formalité, sans fichage excessif, sans paiement à l’acte et donc hors parcours de soins, à tous ceux qui le souhaitent. Cet accès direct, sans jugement, sans procédure ou protocole pré-applicable, dans le respect de la différence, de la singularité, après quelques années de fonctionnement sur ce mode, autorisera sans doute celui qui souffre, qui parfois se sent étrange, sur la base du bouche-à-oreille, avec ou sans le soutien de proches, à franchir les portes de la structure. Ce n’est qu’un commencement, cette alliance, cette confiance, il faudra constamment la retravailler. C’est ce travail de toute une équipe qui permettra de limiter autant que possible la crise, l’urgence, la contrainte. Ce travail sera mis à mal par cette loi dont les orientations renforcent les représentations stigmatisantes et coercitives de la psychiatrie. Pour les centaines de milliers de nouveaux usagers annuels, évitement et défiance viendront remplacer confiance et hospitalité. Les lieux d’accueil et de soins seront inexorablement marqués par les rapports de forces inhérents à la mise en place de « prétendus soins » contraints en ambulatoire alors qu’ils ont vocation à être des espaces d’écoute, d’accueil et de prévention. L’enfermement au dehors, avec kit de vie et traitement imposé et normalisé par des protocoles, revient à l’externalisation de l’asile, ou plutôt de son organisation, avec effacement de l’individu. Présenter la contrainte en ambulatoire comme une nouveauté, voire une avancée, est une escroquerie visant à manipuler à la fois les élus et la population, alors même qu’il s’agit d’une proposition de légalisation de pratiques pourtant décrites comme abusives et dénoncées comme telles par exemple dans un rapport de l’Igas en mai 2005 (cf. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000110/0000.pdf). Dans le cadre de ce rapport, plutôt que de durcir les contrôles pour imposer une meilleure application, et limiter la contrainte à l’exception, la commission avait proposé d’assouplir ces mêmes mesures ! Elle choisira de faire de l’exception la règle, pour que tout rentre dans l’ordre. Cette commission ne fera que constater sans les analyser ou en évaluer les conséquences des écarts entre les départements pouvant aller de 1 à 5 pour les HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers) et de 1 à 9 pour les HO (hospitalisation sans le consentement, antérieurement appelé internement). Il est pourtant peu probable que ces écarts soient liés au nombre de patients, à leur état de santé ou leur situation, mais plutôt à des pratiques différentes des équipes de psychiatrie et des préfets. La création, par exemple, d’un observatoire national de la contrainte n’a pas été envisagée. La loi du 5 juillet s’inscrit dans ce débat, même si sa rédaction sous cette forme a été favorisée par un gouvernement à orientation très sécuritaire, après une succession de lois répressives dont la loi de rétention de sureté. La commission (cf. rapport de l’IGAS précité) comportait un nombre non négligeable de psychiatres, et les pratiques étaient déjà à l’œuvre. L’augmentation globale de la contrainte notamment des procédures d’urgence (sans tiers et sans médecin extérieur)était prévisible puisque favorisée, alors même qu’elles étaient dénoncées, les écarts sont par ailleurs passé à 1 à 4 pour les SDT et 1 à 13 pour les SDRE ; la facilité d’admission n’encourage pas la recherche d’alternative ; une structure privée pourrait se voir confier des internements, loi HPST, article sur les « missions de service public », voir gérer des programmes par délégation. La loi sur les aliénés n°7443 du 30 juin 1838, signée à Neuilly par Louis-Philippe, roi des français, garantissait l’indépendance du médecin rédigeant le certificat à l’origine du « placement », et exprimait par ailleurs une plus grande prudence, voir une méfiance à l’égard du privé. Il est pourtant essentiel que la séparation des « pouvoirs » soit garantie entre celui qui prescrit une éventuelle contrainte, le tiers ou la personne de confiance, et celui qui la confirme ou non. Au-delà de la question du droit des patients, les pratiques apaisantes, favorables à terme à la continuité, ne peuvent s’exercer si une équipe est placée en situation de toute puissance ; une telle situation est évidemment source de tension et de violence évitable, préjudiciable au travail d’alliance indispensable à une véritable mise en œuvre des soins. Pour ce faire, il est impératif que les médecins de villes et des urgences soient totalement indépendants des psychiatres et réciproquement. Les équipes des urgences des hôpitaux généraux ont souvent malgré le manque de moyens fait de gros efforts dans la lutte contre les discriminations et il est essentiel que formation et moyens permette une poursuite de l’amélioration de la prise en charge sans discrimination en fonction de l’âge, de la pathologie, du handicap ; c’ est encore plus vrai pour la psychiatrie puisque l’examen somatique est indispensable, avec le bilan, pour éliminer autant que possible toute cause organique ou toxique le plus souvent à l’origine de « troubles dits du comportement » (confusion, douleur etc.). La loi du 5 juillet vient donc conforter la généralisation et la banalisation de la contrainte dans tous les lieux de soin et de vie des personnes. Signe, diagnostic (sur la base de classification ou tout écart à la norme est répertorié), enfermement ou pas, traitement médicamenteux obligatoire, « rangement en ville », surveillance et contrôle au domicile, en CMP, en hôpital de jour, la volonté de réduire la psychiatrie à ces différentes étapes n’est pas nouvelles y compris chez les psychiatres.
Faire vite, battre des records « de non-hospitalisation », produire des actes, sont maintenant encouragés avec intéressement pour le moment indirect par le budget. Cette perte d’indépendance est accentuée par la loi HPST et dans ce cadre la suppression des mesures statutaires spécifiques avec nomination par le ministère au profit du niveau local. Les directeurs sont maintenant tentés d’intervenir dans le traitement (au sens large).
Au-delà de la loi du 5 juillet, il apparaît utile d’intégrer au débat les injonctions de soins ; s’il est louable au regard de la toxicité de la prison de rechercher des alternatives à l’incarcération, l’aliénation d’une équipe dans le cadre d’une « illusion de soins » prescrite par le juge devenu « juge d’application des soins » n’est pas sans poser problème notamment par la confusion rechute, récidive, soins, contrainte et peine. L’introduction du juge était pour nous attendue, alors que nous avons combattu l’ensemble sécuritaire dans lequel cette « greffe » a été imposée dans les suites d’une QPC et d’une décision du conseil constitutionnel ; toutefois, cette avancée est modeste aussi bien dans le temps (pas avant 15 jours) que dans les modalités des soins (uniquement dans l’hospitalisation et non dans les soins ambulatoires). Le juge doit pouvoir contrôler toutes les mesures de contrainte dés le moment ou elles existent, mais en aucun cas rester et/ou devenir un JAS (juge d’application des soins) prescripteur. Si l’on peut entendre l’intérêt de lutter contre la mise en place d’une juridiction d’exception, argument parfois mis en avant par les juges et les avocats contre la délocalisation de l’audience, une réforme intégrant l’audience foraine dans le droit commun, condition d’audition respectant le patient et prenant en compte les exigences de discrétion/ secret médical est peut-être nécessaire. Cette loi qui fonde l’exercice de la psychiatrie sur la contrainte ne peut faire l’objet d’un Nième bricolage, il apparaît indispensable de la repenser entièrement afin qu’elle ne soit pas qu’un simple toilettage de la loi du 30 juin 1838, puis de celui des lois du 27 juin 1990 et du 5 juillet 2011 mais une loi entièrement nouvelle. Le risque zéro n’existe pas, et surtout les violences sont médiatisées de manière très inégale, essentiellement en fonction du marché qu’elles représentent et de l’instrumentalisation permise par un pouvoir qui s’en nourrit.
L’urgence réside pourtant dans le renforcement de la capacité à accueillir, à soutenir la politique de secteur là ou elle est en place et à la rétablir là ou elle n’est plus ou pas encore. Le respect des droits du patient (d’abord citoyen) doit être au centre de nos préoccupations. Les pratiques ambulatoires notamment au domicile ou en domicile de substitution, doivent se faire dans le respect de la vie privée et des choix. La future loi devra permettre d’encadrer la contrainte qui s’impose à nous et au patient. Cette contrainte doit rester exceptionnelle dans sa fréquence et dans sa durée, la loi doit en limiter la mise en œuvre et en favoriser le contrôle quelque soit le mode d’exercice .Le dispositif devrait donc être « dissuasif», la contrainte difficile à mettre en œuvre, contraignante pour ceux qui la maintienne et facile à lever. Les « tracasseries » souvent mises en avant ne sont rien au regard de la violence d’une contrainte que la commission de l’IGAS précitée considère comme « une atteinte sévère à la liberté individuelle »(p. 6 et 13). cf. http://www.uspsy.fr/Pire-que-la-loi-de-1838-A-propos.html

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