Communiqué du Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP) du 22 novembre 2012

Madame Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé a reçu pendant une heure vingt minutes le 21 novembre 2012 une délégation du MDHP composé des docteurs Anne Gervais, Bernard Granger, André Grimaldi, tout trois de l’AP-HP, et Christophe Marguet, pédiatre au CHU de Rouen. Monsieur Jean-Luc Nevache, directeur de cabinet, madame Eve Parier, chargée des personnels hospitaliers, et monsieur Jérôme Clerc, chargé de la performance et du financement des établissements de santé, étaient également présents.

L’entretien a porté sur quatre thèmes : le financement des hôpitaux, la gouvernance hospitalière, le cas particulier de l’AP-HP et l’organisation d’états généraux de la santé.

Après avoir enregistré positivement l’abandon de la convergence tarifaire et le rétablissement du service public hospitalier constitué par les hôpitaux publics et les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), le MDHP a insisté sur la nécessité d’une rupture avec la « politique de la T2A et du business plan ». Une véritable réforme du financement est nécessaire. De simples aménagements ne suffiront pas.

Certes la tarification à l’activité (T2A) n’est pas porteuse de tous les maux, si elle est pertinente pour la chirurgie (y compris obstétrique) et la médecine interventionnelle simple, programmée, elle est inadéquate pour les activités d’innovation, pour les prises en charge de malades entraînant peu d’actes techniques, pour les malades lourds au pronostic incertain (polypathologies, urgences, grand âge). Elle amène de ce fait des comportements de sélection soit des patients à bas risques soit des affections porteuses d’actes techniques, c’est-à-dire des activités jugées rentables. Elle induit une inflation des actes et des hospitalisations et stimule la concurrence entre établissements.

Pour l’améliorer, l’augmentation du nombre de GHM (passé de 700 en 2005 à 2300 aujourd’hui), la complexification du codage en y ajoutant des indicateurs de qualité, comme cela est proposé, ne sont pas la solution. Cela conduirait à soigner les indices plutôt que les malades et à rendre encore plus hermétique et complexe le codage : « Mieux vaudra embaucher un codeur qu’un soignant ». De plus les tarifs des GHM fluctuant, devenir un spécialiste du codage est une nécessité. Quel que soit leur investissement clinique, les soignants ont le sentiment de ramer à contre courant tandis que le coût réel des soins s’éloigne des tarifs.

Nous souhaitons une politique tarifaire modulée.

1/ Nous proposons de sortir de la T2A les activités peu standardisables. Pourquoi ne pas envisager un financement par dotation globale pour les maladies chroniques (médicales, soins de suites et de réadaptation, psychiatrie) dont l’évolution en fonction de l’activité pourrait se faire sur quelques données simples ? Pourquoi ne pas créer des hospitalisations de demi-journée et des forfaits de prise en charge ambulatoire ?

Pourquoi ne pas envisager une tarification journalière pour les soins palliatifs ? Il faut de plus envisager un financement adapté aux contraintes particulières de bassins de population.

2/ La T2A ne prend pas en compte les besoins de rénovation ou de réaménagement différents selon les hôpitaux publics. Les investissements immobiliers ne peuvent être abondés par les recettes T2A… (cf. le doublement de l’endettement hospitalier entre 2005 et 2010). De la même façon l’enveloppe de l’enseignement et de la recherche est comptée indûment dans l’Ondam.

3/ Il n’est pas possible de réguler l’Ondam au détriment des MIG ce d’autant que, même si des efforts sont fait, avec 2,7% d’augmentation de l’ONDAM, nous sommes en dessous de l’évolution tendancielle des charges évaluées à 3,4% en 2013. Nous souhaiterions que la régulation des tarifs s’exerce avec discernement : c’est-à-dire non pas peser globalement sur les tarifs moyens fixés par l’échelle nationale des coûts (ENC), mais par établissements et sur les activités dont le nombre dérape.

Il faut donc revoir avec souplesse le financement hospitalier et sa régulation.

La ministre partage partiellement ce diagnostic et se dit prête à s’engager dans cette voie mais il n’est pas sûr qu’elle soit suivie par la technocratie en place dont la logique est de répondre par une complexification croissante de la T2A. Elle a annoncé une réflexion plus large sur la tarification et des changements plus substantiels pour la campagne tarifaire 2014. Elle a indiqué comme une piste de limitation des dépenses un moindre recours à l’hospitalisation

La vétusté des équipements et des bâtiments ainsi que les réaménagements justifiés par une logique de projet et de progrès médical nécessitent un effort important d’investissement. Sans le contester, nos interlocuteurs ont rappelé que beaucoup avait été fait et que la part des investissements dans l’Ondam hospitalier serait augmentée. Toutefois la ministre estime qu’un financement supplémentaire hors-Ondam est rendu difficile par le contexte économique actuel et devrait faire l’objet d’arbitrages à un niveau supérieur à celui du ministère de la Santé.

Sur le deuxième point, nous avons dit qu’une certaine désespérance s’était emparée des équipes soignantes, surtout depuis la loi HPST qui marque l’avènement de l’hôpital-entreprise, et ne met plus les soins et leur qualité au centre des préoccupations de l’hôpital, où désormais, on ne parle que d’argent, dans une vision réductionniste et purement quantitative des soins. L’objectif principal est le retour à l’équilibre sans évaluation préalable des besoins de santé, le personnel devenant la variable d’ajustement budgétaire. Le périmètre d’action de l’administration et des soignants devrait être mieux respecté, chacun devant agir dans son propre domaine de compétences. Rééquilibrer la gouvernance devient une exigence. Les pôles doivent être définis selon une logique médicale et non comptable (nous avons demandé la fin des pôles Pim Pam Poum, comme les appelle notre collègue Nisand, c’est-à-dire ceux regroupant des activités sans lien médical entre elles). L’encadrement de proximité a été fortement touché par les suppressions d’emplois lors des plans de retour à l’équilibre, ce qui perturbe l’activité des services. Les départs de plus en plus nombreux de praticiens hospitaliers quittant le service public témoigne lui aussi du profond malaise actuel et il est d’autant plus préoccupant que la crise de la démographie médicale rend difficile ou impossible leur remplacement, surtout dans les spécialités où la concurrence avec le privé est rude (radiologie, chirurgie, anesthésie). Sur ce dernier point, le gouvernement souhaite diminuer ce différentiel en s’attaquant aux revenus des médecins libéraux plutôt que d’améliorer la situation des médecins hospitaliers (sic). Pour le reste, la mission Couty peut déboucher sur des propositions de changement.

Nous avons ensuite attiré l’attention de nos interlocuteurs ministériels sur la situation préoccupante de l’AP-HP, insistant sur la nécessité de réorganiser rapidement son fonctionnement et de repenser son insertion dans les territoires et son adéquation structurelle avec les facultés. Cela devrait déboucher sur un changement de direction générale. La ministre a répondu sur le premier point que la mission Couty traiterait de façon différenciée le cas de l’AP-HP car il pose des problèmes spécifiques.

Enfin, le texte du MDHP venant à l’appui de cette entrevue demandait l’organisation d’états généraux de la santé, car le simple aménagement du système actuel ne paraît pas à la hauteur des enjeux de santé publique. Une réflexion plus générale s’impose pour adapter notre système à la multiplicité des besoins et à la diversité des pratiques médicales (soins courants, pathologies aiguës graves, gestes techniques, prise en charge des maladies chroniques et des polypathologies, prévention…). On ne peut plus penser l’activité médicale comme un modèle unique. Cela implique de revoir la formation, d’avancer sur la question des délégations de tâches aux paramédicaux et surtout de tracer la voie de la construction d’un véritable service de la médecine de proximité. Les hôpitaux doivent aider à le construire sans prétendre s’y substituer. De même, le financement de notre système de santé, la place respective de la Sécurité sociale et des assurances dites complémentaires, le rôle des professionnels et des « usagers » dans la « gouvernance » du système de santé sont des sujets majeurs. On ne peut pas cantonner à des concertations entre experts et à des négociations syndicales sous la pression des lobbies. La ministre a répondu que de toutes part elle avait des demandes de décisions rapides, ce à quoi elle s’est employée et s’emploie encore, mais que dans un deuxième temps, elle n’excluait pas de mener cette réflexion approfondie sous forme d’états généraux. Il faudrait en définir les objectifs et les participants.

En conclusion, un discours ministériel certes ouvert mais exprimant plus une volonté d’aménagement que de refondation. Bien évidemment, ce qui importe ce sont les actes.

Anne Gervais, Bernard Granger, André Grimaldi, Christophe Marguet