Le troisième plan autisme paru ce mois de Mai 2013 est un pur produit de la pensée novlangue, dicté par des opposants farouches à la psychanalyse et à la pédopsychiatrie de service public. Son contenu est rempli de « non surprises » et aurait très bien pu être annoncé par Valérie Létard dans le gouvernement précédent. Là, c’est pire encore que ce que l’on aurait pu imaginer, puisque les politiques que nous avons élus se comportent en porte paroles d’un seul point de vue, sans compter les commentaires indignes que madame la ministre des handicapés a tenu à l’occasion de sa sortie, entourant cet événement d’une nouvelle atmosphère de chasse aux sorcières dont nous n’avions absolument pas besoin.
Ne pouvant évidemment reprendre l’ensemble de ce document, je souhaite évoquer quelques points particuliers qui m’ont parus révélateurs d’un climat de vil règlement de compte plutôt qu’annonciateurs d’une nouvelle alliance des différents praticiens, nécessaire à la prise en charge des enfants concernés et au soutien de leurs parents.
La pédopsychiatrie de service public, en charge des problèmes sanitaires des enfants autistes n’existe tout simplement plus dans le rapport, et la psychiatrie de secteur, invention dont la France peut s’enorgueillir à juste titre n’est citée qu’une seule fois, et encore, en tant qu’ « équipe hospitalière de pédopsychiatrie ». Les enfants autistes et leurs parents iront dans les CAMSP et les CMPP, parfois dans les établissements médicosociaux, mais n’iront pas voir le pédopsychiatre de secteur dans son CMP, alors que la psychiatrie de secteur est toujours la modalité légale d’organisation de la psychiatrie française, et que cette pathologie infantile est encore, pour combien de temps, du ressort de cette spécialité médicale, et enseignée dans les facultés de médecine par les professeurs de pédopsychiatrie.
Sous le couvert d’un libéralisme de bon aloi, la recherche, qui semble un axe essentiel pour nous tous, suit une ligne en contradiction avec tout projet scientifique : il est déjà précisé à l’avance ce que les chercheurs doivent trouver, des étiologies génétiques et des marqueurs biologiques, avant même d’avoir envisagé l’ensemble des pistes à suivre, notamment épigénétiques, voire évoqué leur complémentarité avec les premières. Certaines de ces hypothèses sont purement et simplement niées et passées sous silence, ce qui est une autre manière de définitivement condamner leur existence même, tandis que d’autres sont déjà présentées comme des résultats scientifiques avérés, alors qu’ils ne le sont pas.
La prévention à dix huit mois est présentée comme un scoop qui devrait enfin venir réparer les dégâts faits par « les pédopsychiatres, infiltrés par la psychanalyse depuis quarante ans » (commentaires de la ministre des handicapés), qui en ont empêché la mise en place. Tous les travaux en langue française parus à ce sujet sont tout simplement passés sous silence une fois encore, alors qu’ils contiennent de nombreuses recherches, pratiques et résultats précieux à ce propos. De plus, la question n’est pas si simple que le plan nous l’annonce, car plusieurs diagnostics sont possibles lorsque le pédopsychiatre se trouve devant un tableau de syndrome autistique survenant chez un bébé, et il est alors difficile d’annoncer un diagnostic d’autisme à des parents quand, quelques mois plus tard, il s’avère qu’il s’agissait en réalité d’une dépression grave, d’un trouble sensoriel ou d’une déficience. Ceux qui n’ont pas rencontré dans leur pratique ces problématiques peuvent facilement donner des leçons de prévention générale !
Les TED/TSA doivent tous emprunter le chemin de l’école. Soit ! La loi de 2005 est certes généreuse, mais le gouvernement qui l’a fait voter a simplement oublié de fournir les moyens ad hoc pour faire vivre ce bel effort d’inclusion. La psychiatrie de secteur a toujours joué l’intégration scolaire lorsqu’elle était possible, et a soutenu les enseignants et les parents pour la réussir. Mais où sont les moyens pour inclure à l’école tous les enfants concernés ? Les enseignants ont-ils été invités à donner leur avis sur cette politique intéressante mais nécessitant d’autres aménagements que les seules injonctions parentales en appui sur une loi sans moyen de l’appliquer ? Pour ma part, j’enseigne depuis de nombreuses années à mes étudiants en médecine et à tous les professionnels concernés par l’autisme que le trépied sur lequel repose la prise en charge des enfants TED/TSA est : « l’éducatif toujours, le pédagogique si possible et le thérapeutique si nécessaire ». Mais la formulation « le pédagogique si possible » ne vaut que si d’autres formules sont trouvées pour les enfants qui ne peuvent en bénéficier, et notamment les établissements du médicosocial (IME), ainsi que les hôpitaux de jour qui doivent apporter à l’enfant une possibilité pédagogique en rapport avec leur niveau cognitif.
Autre inconvénient majeur : l’extension du modèle TED/TSA à toutes les pathologies développementales des enfants, et notamment aux enfants appelés « dysharmoniques » par Misès, qui sont désormais recouvertes par la catégorie TED Non Spécifiés (TEDNOS). Si la prise en charge des premiers peut être améliorée par les recommandations HAS ANESM (et encore faudrait-il se mettre d’accord sur les dérapages interprétatifs des résultats statistiques exposés, et épinglés par l’éditorial de la revue Prescrire d’avril 2013), il n’en est rien des seconds, alors que leur prévalence est nettement supérieure à celle des premiers. Il s’agit, ni plus ni moins d’une OPA sur l’ensemble des enfants présentant un trouble envahissant du développement et sur leurs parents, pour augmenter le rapport de force en faveur d’une position manichéenne d’exclusion des points de vue différents et des pratiques institutionnelles portées par les équipes de pédopsychiatrie.
Enfin, la référence constante aux recommandations de l’HAS/ANESM est affligeante lorsque l’on sait l’écart qui existe entre les prétentions scientifiques qu’elles affichent et la réalité de leurs résultats objectifs.
Voilà déjà quelques éléments que je peux livrer à votre réflexion pour montrer en quoi les troisième plan autisme est en fait une injonction destinée à détourner les moyens d’une pédopsychiatrie de service public jetée aux orties par ses propres ministres de tutelle, vers des pratiques prônées comme efficaces, sans prendre en compte la plus élémentaires des réalités : si certains enfants autistes n’ont besoin que de pratiques éducatives et pédagogiques, d’autres ont également besoin de soutiens thérapeutiques du fait de leurs comportements et si le service public n’existe plus ce ne sont pas les quelques places de « répit » qui sont créées qui vont répondre aux problèmes posés par les psychopathologies autistique et psychotique, notamment en cas de « comportements-problèmes ».
Mais je souhaite reprendre rapidement quelques étapes de l’histoire récente des enfants autistes pour mieux éclairer les positions scandaleuses exposées par la ministre des handicapés à l’occasion de la sortie du troisième plan, qui montrent à l’envi sa méconnaissance du problème qu’elle prétend traiter.
L’autisme décrit en 1943 par Kanner constituera le point de départ d’une prise en considération scientifique médicale des enfants concernés. Les secteurs de pédopsychiatrie créés en 1972, et la pédopsychiatrie universitaire en 1973, permettront de développer des structures de soins adaptés à ces pathologies infantiles, notamment par la création du concept d’hôpital de jour. Ce dispositif permet à l’enfant de venir se soigner et d’apprendre dans la journée sur des horaires comparables à ceux de l’école et ensuite à rentrer chez ses parents. A l’époque, seules les équipes de pédopsychiatrie se mobilisent pour prendre en charge ces enfants. Mais le manque de moyens suffisants et les réticences de certains psychanalystes n’ayant pas pris suffisamment en considération les caractéristiques de ces pathologies archaïques ne donnent pas à ces équipes la possibilité de développer davantage ces prises en charge en intégrant les aspects éducatifs et pédagogiques, autant qu’il aurait fallu. C’est l’époque des orientations de nombreux enfants vers le médicosocial. Les pédopsychiatres plaident pour une plus grande intégration à l’école, mais le temps d’une loi allant dans ce sens n’est pas encore venu. Toutefois, un certain nombre d’équipes ouvertes commencent à articuler les approches éducatives, pédagogiques et thérapeutiques (Jacques Constant en sera un pionnier à Chartres avec Catherine Milcent). Simone Veil va alors déclencher un mouvement à partir du politique et sur la demande de nombreuses familles qui ne trouvent pas de réponses pertinentes pour leur enfant. Un mouvement va ainsi se développer sous le nom de pédopsychiatrie intégrative, et permettre à de nombreuses équipes de pédopsychiatrie de se réformer pour aller dans ce sens des complémentarités nécessaires en fonction de chaque enfant.
Dans la période plus récente, des attaques dirigées vers certaines techniques (packing, pataugeoire, psychothérapie) sont organisées par certaines associations de parents et visent à sensibiliser l’opinion publique en recourant à des méthodes de désinformation très élaborées mais indignes de notre démocratie. Des députés de droite comme de gauche se mettent en tête d’interdire la psychanalyse dans l’autisme. Le sommet sera atteint dans les recommandations de l’HAS parues en mars 2012. Si certaines parties de ce texte sont intéressantes et acceptables de façon consensuelle, la partie concernant les prises en charge est un véritable traquenard intellectuel puisqu’elle prétend s’appuyer sur ces considérations scientifiques, alors que la preuve est faite depuis qu’il n’en est rien. Si la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle sont jugées non consensuelles, et à ce titre disqualifiées de fait, la packing se voit interdit sauf dans le cadre de la recherche que je mène à Lille dans le cadre d’un PHRC accepté sur le plan scientifique par le ministère de la santé et de la recherche et sur le plan éthique par la commission de protection des personnes (CPP).
Le troisième plan autisme paraît alors que la majorité politique a changé et que nous attendions de la nouvelle majorité une capacité à dépasser ces conflits délétères pour enfin partir sur des bases redéfinies dans un esprit d’ouverture et de complémentarité. Il n’en a rien été, et nous voyons se déployer sous nos yeux, les triomphes ordinaires du lobbying des plus forts et des plus organisés alliés à ceux d’une démagogie jamais encore atteinte, surfant sans problème sur la souffrance des familles.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à une problématique complexe qui peut être éclairée par plusieurs niveaux d’analyse.
Tout d’abord, au niveau sociétal, le procès en sorcellerie fait à la psychanalyse devrait être instruit contre des psychanalystes qui n’ont pas su accueillir avec le respect humain que l’on doit dans nos métiers aux personnes qui souffrent psychiquement. Lorsqu’un patient se plaint d’un chirurgien, fait-il un procès à la chirurgie ? Ceux qui payent aujourd’hui injustement cette haine ne font que tenter dans leurs pratiques, chacun à leur manière, non pas de psychanalyser les enfants autistes, mais d’utiliser les conceptions psychanalytiques dans leurs réflexions et leurs pratiques relationnelles autour des enfants autistes, et quand la possibilité se présente, d’adapter les dispositifs de soins en tenant compte de ces avancées dans la prise en charge, et ce, toujours en alliance avec les parents. Si la psychanalyse a été importante dans la formation de nombreux pédopsychiatres, en aucun cas elle n’a été la seule, et beaucoup d’entre nous tentons d’articuler les hypothèses neuroscientifiques avec les hypothèses psychopathologiques dans le cadre des secteurs de pédopsychiatrie.
Ensuite, sur le plan politique, le passage progressif, trop rapide à mes yeux, d’une démocratie participative à une démocratie médiatique, met sur le marché informatif beaucoup d’éléments qui se présentent comme scientifiques alors qu’il n’en est rien. Nous savons que les discussions sur des sujets comme l’autisme deviennent volontiers passionnelles. Et le circuit des pseudo-discussions sur les forums qui sont « occupés » par des groupes bien organisés pour en saturer les contenus n’est pas de nature à favoriser une vraie dispute au sens scientifique du terme. Les attaques « ad hominem » remplacent les arguments scientifiques, et je sors d’un combat sur le packing où j’ai pu mesurer à quel point la passion destructrice tient souvent lieu de pensée. En fait il s’agit probablement d’une défense contre l’angoisse qui consiste à relayer ad libitum, sur le modèle de la publicité, les messages destructeurs pour terrasser l’adversaire intellectuel, ce qui évite d’avoir à penser soi-même.
Enfin, la surdétermination économique ne fait pas de doute dans ce conflit majeur actuel. Il me semble qu’il serait intéressant de la part des politiques de dire qu’ils disposent de telle somme pour résoudre la question des TED/TSA, et qu’il faut se mettre autour d’une table pour répartir la mise après des discussions démocratiquement organisées. Or ils ont choisi de désigner un bouc émissaire, le service public de pédopsychiatrie, de le disqualifier, de le détruire et pour y arriver d’utiliser toutes les armes, mêmes celles qui ne sont pas autorisées, pour lui prendre ses crédits, et les « transférer » à ceux qui se présentent comme les « vrais scientifiques ». Pas de chance pour nous, nous incarnons le bouc émissaire, et cet appel au lynchage que la ministre des handicapés a organisé à l’occasion de la sortie du troisième plan n’est pas digne de nos démocraties.
Nous devons faire savoir qu’il s’agit d’une imposture, et nous devons continuer à suivre notre chemin des complémentarités nécessaires dans ce domaine de l’autisme, comme dans tous ceux des sciences médicales dans lesquelles la souffrance ne se réduit jamais à la solution d’une équation mathématique.
Pierre Delion