Article du Quotidien du médecin du 12 mai 2014 : Conditions d’exercice, bien-être des professionnels : La HAS aménage la certification des hôpitaux pour prendre en compte la qualité de vie au travail

Conditions de travail inadaptées, interruption des tâches, conflits, épuisement professionnel… La qualité de vie au travail (QVT) a une incidence directe sur la qualité et la sécurité des soins. La Haute autorité de santé (HAS), forte de ce constat, modifie la démarche de certification des établissements de santé pour tenir compte de ce critère. Une petite révolution.

En 2010, le stress et la souffrance au travail s’affichent à la une des journaux (Orange, Renault..). L’univers hospitalier déverse lui aussi ses cas de burn-out, de tentatives de suicide. Des études montrent des taux d’épuisement professionnel pouvant concerner jusqu’à 50 % de la population médicale, selon la spécialité. Pression, surmenage, travail morcelé, exigence des patients…: la Haute autorité de santé (HAS) estime que ce sujet longtemps tabou ne peut être ignoré plus longtemps : la qualité des soins en dépend.

Une dynamique pour progresser

La réflexion aboutit quatre ans plus tard. En septembre prochain, le nouveau manuel de certification des établissements intégrera un critère sur la qualité de vie au travail. « Notre approche se veut non normative, précise Véronique Ghadi, du service certification de la HAS. Nous ne définissons pas ce que doit être la qualité de vie au travail. L’objectif est de lancer une dynamique, afin de sensibiliser les établissements de santé, et les aider à progresser ». Plusieurs documents seront mis en ligne dans les prochaines heures sur le site de la HAS (www.has-sante.fr) pour présenter la démarche.

À partir de septembre, chaque hôpital (et chaque clinique) amené à renouveler sa certification commencera par identifier ses faiblesses : turnover, absentéisme, taux d’accidents du travail, satisfaction des professionnels. Les informations seront adressées à la HAS. Il ne s’agit pas de surajouter des contraintes aux hôpitaux mais de leur donner des repères. Lorsque l’expert visiteur se rendra sur les lieux, il rencontrera la direction, les cadres, les professionnels et les syndicats, afin de recueillir le ressenti de chacun. Ce sera l’occasion, pour le personnel, d’exprimer ce qui ne va pas : absence de soutien, dialogue insuffisant, horaires trop lourds…

Pas question de stigmatiser les « mauvais » hôpitaux

La HAS avance sur un terrain sensible, voire explosif dans certains établissements. « Cela est nouveau, et notre idée n’est pas « d’assassiner » les établissements en pointant leurs lacunes, prévient Véronique Ghadi (HAS). En cas de fort dysfonctionnement, il pourra tout de même y avoir une recommandation, voire une réserve ». Les rapports de certification sont publics : la HAS veut utiliser cet aiguillon pour pousser les « mauvais élèves » à soigner davantage les conditions de travail.

Pour initier un cercle vertueux, des exemples positifs seront mis en avant. Ce service d’hospitalisation à domicile, par exemple, a été confronté à une vague de départs après un pic soudain d’activité. La situation s’est arrangée après la mise en place de réunions régulières, une révision du management, et la mise à disposition d’un smartphone pour les infirmières partant au domicile, afin de créer un lien avec les coordinatrices. Cet hôpital privé non lucratif s’est quant à lui sorti d’une zone de turbulences, à la veille d’une fusion avec un autre établissement, en associant étroitement les professionnels à l’aménagement des futurs locaux.

L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) apporte son expertise à la HAS. Créée dans les années 1970, elle intervient dans le secteur bancaire, la métallurgie, l’agroalimentaire. « Le secteur de la santé est exposé aux risques psychosociaux, observe Pascale Levet, directrice technique et scientifique de l’ANACT. Jusqu’à présent, les enjeux du travail à l’hôpital étaient traités de manière individuelle, avec des systèmes de prévention très inégaux. Il y a beaucoup à faire. La solution miracle n’existe pas, mais avec une bonne méthode, on peut améliorer la performance économique et sociale des établissements de santé comme celle des entreprises ».

Delphine Chardon

Le Quotidien du Médecin du 12/05/2014