Autour de « A LA FOLIE », thématique du prochain festival des écrans documentaires le samedi 8 novembre à ARCUEIL et dimanche 9 novembre à VITRY au MAC VAL

Dans le cadre de sa programmation, Les ÉCRANS DOCUMENTAIRES proposent trois films autour de la folie et de sa représentation poétique et esthétique.

EXPÉRIENCES DU SEUIL
Égarés, insensés, naufragés : si le documentaire s’est toujours intéressé à la folie en produisant notamment une critique de l’institution asilaire, peu d’œuvres en revanche ont tracé, comme LES TOURMENTES ou LES INSENSÉS, une cartographie sensible de la maladie mentale aussi ouverte à tous les décloisonnements. Les films de Pierre-Yves Vandeweerd et de Béatrice Kordon sont en effet une traversée : du monde tangible à celui de l’inconscient et du rêve, du monde des vivants à celui des morts, du cinéma même. Ils sont un lieu de passage entre des matières d’images et de sons (bruits, musiques, voix), une zone poreuse où les notions d’altérité et d’altération – l’une ne va pas sans l’autre – se frottent pour faire surgir des expériences très singulières : « comprendre serait alors ce qui fait advenir » (Claude Régy). Si des affinités indéniables relient les deux films – associations poétiques, recours aux murmures, rappel des noms propres, sons asynchrones, etc.-, des divergences existent cependant. En terme de projet de vie (dix années d’immersion fragmentaire chez l’une ; la constitution d’un troupeau de cent cinquante têtes pour le cinéaste-pasteur), ou dans la manière dont chacun dialogue avec d’autres catégories artistiques, musique ou photographie. Entre Voir et Voix, Transe (la ronde fièvreuse des bêtes autour de monolithes chez Vandeweerd) et Danse (des ténè- bres : étonnantes réminiscences des figures du Bûto chez Kordon), c’est sur ces terres si mal connues que nous sommes conviés, ici, à accoster.

LES INSENSÉS, FRAGMENTS POUR UN PASSAGE
BEATRICE KORDON, 2013, 58 MIN, FRANCE, ACIS PRODUCTIONS / LE FRESNOY

« Enfermé dans le navire d’où on n’échappe pas, le fou est confié à la rivière aux mille bras, à la mer aux mille chemins, à cette grande incertitude extérieure à tout.
Il est prisonnier au milieu de la plus libre, de la plus ouverte des routes. Il est le Passager par excellence, c’est-à-dire le prisonnier du passage. Et la terre sur laquelle il abordera on ne la connait pas, tout comme on ne sait pas, quand il prend pied quelque part, de quelle terre il vient ».

LES TOURMENTES
PIERRE-YVES VANDEWEERD, 2014, 1H17, FRANCE/BELGIQUE, ZEUGMA FILMS

La tourmente est une tempête de neige qui désoriente et égare. Elle est aussi le nom donné à une mélancolie provoquée par la dureté et la longueur des hivers. Là où souffle la tourmente, des hommes érigèrent des clochers pour rappeler les égarés. Et des bergers, au gré de leurs transhumances, usèrent de leurs troupeaux pour invoquer des âmes perdues ou oubliées. Guidé par les sonnailles d’un troupeau et par les évocations des

LES PAYS DES VOIX
Les enfants, les fous et peut-être les animaux partagent avec le cinéma la possibilité, parfois convulsive, à vivre le réel et l’imaginaire sans distinctions. À la croisée des pratiques documentaires, expérimentales et musicales le dernier long-métrage de Pierre-Yves Vandeweerd travaille au cœur de cette indétermination. Le réalisateur y orchestre en effet une étrange partition visuelle et sonore où affleure peu à peu un monde plus archaïque, plus primitif. Un monde autre (1), poreux aux forces de l’invisible, qui se manifeste dès l’ouverture par un bain de matières sonores concassées, des regards possédés et des gestes désaccordés ou tremblants.
Arrimé aux courants de l’inconscient et du rêve, LES TOURMENTES est un voyage initiatique à la poursuite de fantômes. Des « naufragés » anonymes enfouis dans le cimetière de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban aux « égarés » pris dans les tempêtes de neige des Monts Lozère : à chaque fois il s’agit pour le cinéaste d’effectuer des tracés de mémoire qui sont autant de reports et de projections mentales que des relevés sensibles à l’intérieur d’un paysage nu et désertique. En ce sens, LES TOURMENTES s’inscrit dans le prolongement d’un cycle entamé avec LES DORMANTS (2009) et TERRITOIRE PERDU (2011) qui étaient, déjà, des traversées du monde tangible aux sphères de l’inconscient. Deux œuvres qui tentaient, elles aussi, de donner corps et voix à des spectres – ceux des populations Sahraouies par exemple, doublement égarées dans les tempêtes de sable et dans les marges d’une histoire restée sourde et aveugle à leurs souffrances.
Eric Vidal
1. Les maîtres du désordre, catalogue d’exposition du Quai Branly, Paris, 2012.

A LA FOLIE (‘TIL MADNESS DO US PART)
WANG BING, 2013, 3H47, CHINE/ FRANCE/ HONG KONG/ JAPON, MOVIOLA

Dans un asile psychiatrique isolé, une cinquantaine d’hommes vivent enfermés sur un étage grillagé. Leurs contacts avec l’extérieur, y compris les médecins, sont rares. Si certains ont des désordres psychologiques, d’autres sont là pour avoir tué quelqu’un, pour avoir déplu à un officiel, pour avoir été dénoncés par leur famille ou leur épouse… S’ils ne l’étaient pas à l’origine, leur vie de détenus va se charger de les rendre fous.