Par le biais d’amendements au projet de loi sur le dialogue social déposés par Benoît Hamon, député PS des Yvelines, le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, s’est invité dans les débats qui ont débuté mardi 26 mai à l’Assemblée nationale. Son idée est que ce syndrome, de plus en plus répandu dans le monde du travail, soit reconnu comme maladie professionnelle. Dès lors, le coût de cette reconnaissance serait assumé par les employeurs en cause, ce qui les inciterait à prévenir le burn-out, espère-t-il.
L’amendement de M. Hamon risque toutefois de se heurter à un veto de taille : celui du gouvernement. Le ministre du travail, François Rebsamen, explique qu’il n’est pas favorable à une telle mesure car les maladies professionnelles ne peuvent être reconnues « que si elles sont liées uniquement au poste de travail ». Or, ajoute-t-il, « le syndrome d’épuisement professionnel est multifactoriel » et peut puiser sa source dans des causes extérieures à l’entreprise. Il faut « faire preuve de prudence » en la matière, estime-t-il, tout en se disant partisan « d’un large débat » sur le sujet, à condition de ne pas sortir de ce qui était convenu avec les partenaires sociaux.
Le gouvernement a déposé un amendement au projet de loi « dialogue social » qui vise à « améliorer la reconnaissance des pathologies psychiques d’origine professionnelle ». « La prise en compte de ces pathologies » s’effectuera non pas par une inscription dans le tableau des maladies professionnelles mais à travers le « système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles » (assurance-maladie, CRRMP).
Flou
Il est vrai que, actuellement, le système de reconnaissance du burn-out est inadapté. C’est en premier lieu dû au flou de ce que recouvre ce terme, qui mélange cause et effet et ne dispose pas de définition scientifique consensuelle. Et par conséquent, le nombre de personnes potentiellement touchées est lui aussi flou, même si plusieurs récents sondages d’organismes privés avancent des chiffrages allant de 12,6 % des actifs à 17 % des salariés. Des données critiquées par la Dares (département études et statistiques du ministère du travail) : « Toutes ces enquêtes portent sur le ressenti des personnes. Or, une vraie étude doit reposer des critères objectifs, comme l’exposition à tel ou tel facteur, et à quel niveau, etc. » En 2016, la Dares lancera une enquête sur les risques psychosociaux, avec l’Insee.
Les appels à une reconnaissance du burn-out se sont multipliés depuis deux ans. Comme celui de décembre 2014 lancé par une trentaine de députés de la majorité, à l’initiative de Marie-Françoise Bechtel, députée MRC (chevènementiste) de l’Aisne. Cet appel visait toutefois la reconnaissance non pas du burn-out mais de plusieurs pathologies psychiques telles que « l’épuisement » ou « le stress post-traumatique ».
Complexité du dispositif
La France, cependant, ne part pas de rien en matière de reconnaissance des troubles psychiques, contrairement à ce que pourrait laisser penser l’initiative de M. Hamon. En 2012, une centaine ont été reconnues, 239 en 2013. Un nombre très faible, qui s’explique en partie par la complexité du dispositif due notamment à l’absence de tableaux de maladies professionnelles psychiques, comme il en existe au Danemark. Cela facilite énormément les reconnaissances dès lors qu’une pathologie répond aux critères définis dans les tableaux.
Toutefois, un système dit complémentaire peut permettre cette reconnaissance, au cas par cas, pour les maladies ne disposant pas de tableau. Elle est délivrée par des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP), dont les conditions d’accès sont drastiques : la maladie doit avoir entraîné le décès du salarié ou une incapacité permanente partielle d’au moins 25 % ; et la victime ou ses ayants droit doivent apporter la preuve du lien « direct et essentiel » entre la maladie et le travail. Un parcours du combattant que peu de personnes empruntent.
Améliorer le dispositif comme le souhaite M. Hamon paraît donc urgent. Mais là encore, la France ne part pas de rien. Depuis une huitaine d’années, la commission maladies professionnelles du Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT) – qui réunit les partenaires sociaux et l’administration et rend des avis au ministère du travail – planche sur ce sujet. Cette commission a produit, en décembre 2012, un rapport recensant trois « troubles psychiques graves susceptibles d’être liés au travail » et donc reconnus comme maladie professionnelle : « La dépression, l’anxiété généralisée et l’état de stress post-traumatique. »
Cependant, la commission ne recommandait pas d’établir des tableaux de maladies professionnelles, réclamés par les syndicats mais auxquels le patronat est farouchement opposé, pour une question de coût, notamment. Le rapport proposait juste des mesures pour faciliter la reconnaissance par les C2RMP. Ce qui n’était pas un obstacle à la création de tableaux puisqu’il « relève du pouvoir réglementaire du gouvernement de le faire, ce qui serait une réelle avancée », souligne François Desriaux, rédacteur en chef de la revue Santé et Travail. Mais cela n’a pas été fait.
« Enfumage »
« C’est intéressant que ces questions d’atteintes à la santé psychique soient débattues au Parlement, estime de son côté Marie Pascual, médecin du travail et membre CFDT de la commission maladies professionnelles du COCT. Mais ce serait mieux que ce soit fait en lien avec les travaux menés au COCT depuis près de dix ans ! » Mais M. Hamon n’a pas rencontré la commission du COCT, dit-elle. « C’est pourquoi je pense que son initiative est de l’enfumage. »
Sur son site, le magazine Santé et Travail révèle que, dans un mail qu’il s’est procuré, et qui était adressé par M. Hamon à ses collègues parlementaires pour leur demander leur soutien, le député écrit que, « à la demande du ministre, ces amendements ont été réservés pour la séance plénière afin, comme il l’a souhaité, de donner tout le relief politique nécessaire aux avancées qui pourrait être réalisées dans ce domaine. » Ce qui, pour M. Desriaux, confirme que les amendements de M. Hamon permettent surtout au gouvernement de « rosir » son projet de loi sur le dialogue social qui chagrine quelques syndicats.
Bertrand Bissuel
Journaliste au Monde
Francine Aizicovici
Journaliste au Monde