Texte des positions du CRPA en audition par les rapporteurs au Sénat du projet de loi Santé
Vous trouvez en pièce jointe au format PDF, et ci-dessous en copier coller, le texte de l’intervention faite par le CRPA, hier après-midi, en audition au Sénat, par les sénateurs rapporteurs du projet de loi de modernisation de notre système de santé, M. Alain Milon, Mmes Catherine Deroche et Elisabeth Doineau (UMP).
Les associations d’usagers suivantes étaient également auditionnées : FNAPSY, France Dépression, Union nationale GEM France, UNAFAM, Advocacy France, AFTOC (troubles obsessionnels et compulsifs), Scizo? Oui!
Cet article est publié sur le site du CRPA à l’adresse suivante : http://psychiatrie.crpa.asso.fr/514 /
André Bitton, pour le CRPA (Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie), 14 rue des Tapisseries, 75017, Paris. Tél. : 01 47 63 05 62. Site : http://crpa.asso.fr /
André Bitton. Paris, le 9 juin 2015.
Pour M. Alain Milon, et Mmes Catherine Deroche et Elisabeth Doineau, sénateurs. OBJET : Audition de ce jour, 15h25 à 16h50, salle 213, 2ème étage, aile Est.
Monsieur, mesdames,
L’association CRPA, que je représente, fournit les réponses suivantes au questionnaire que vous nous avez fait parvenir, s’agissant de notre audition de cette après-midi, puisque j’ai formulé ces positions oralement.
Question 1, sur les réformes intervenues en matière d’organisation des soins psychiatriques : Sur les réformes du 5 juillet 2011 et du 27 septembre 2013, les documents que je vous ai produits répondent à cette question.
S’agissant de la loi du 21 juillet 2009, HPST (Hôpital, patients, santé, territoire), nous regrettons la politique menée en matière d’organisation de l’offre de soins en psychiatrie depuis une vingtaine d’années, et plus précisément depuis la suppression du diplôme spécifique d’infirmier psychiatrique, qui a consisté en précariser l’emploi dans les établissements et les secteurs psychiatriques, et en prolétariser les praticiens hospitaliers. Cette politique a ses effets pervers que les patients subissent : des médecins qui ne font que prescrire des traitements psychiatriques abrutissants aux effets secondaires dévastateurs, contraignant les patients qui le peuvent à fuir le service public, pour rechercher une prise en charge dans le secteur privé (si toutefois ils en ont les moyens). Ou bien ces personnels infirmiers et aide soignants, souvent intérimaires, n’ayant aucune formation adéquate en matière d’accueil des personnes atteintes de troubles mentaux, qui lors des admissions, faute de temps, d’effectifs et de formation, placent souvent sans motif légitime les personnes accueillies en isolement et sous contention, tout en les médiquant à bloc, de sorte à alléger leur charge de travail et à la viabiliser. Cela au risque d’une deshumanisation des prises en charge, d’une maltraitance systématique des patients, et d’un défaut de soins adéquats.
Nous trouvons regrettable qu’au fur et à mesure de la politique de fermeture des lits de psychiatrie menée depuis une trentaine d’année, des places à due péréquation n’aient pas été ouvertes dans les dispositifs de proximité des secteurs psychiatriques en alternatives à l’hôpital.
Question 2 sur l’article 13 du projet de loi de modernisation de notre système de santé :
1 Le CRPA est partenaire de l’Ordre des avocats du Barreau de Versailles (Yvelines) sur la question de l’hospitalisation sous contrainte, et adhérent à l’Union nationale des Groupes d’entraide mutuelle de France (UNGF).
Nous regrettons que le Gouvernement ait totalement remanié cet article par un amendement introduit au dernier moment, le 27 mars, alors que le texte devait être discuté à l’assemblée nationale entre le 8 et le 14 avril suivant, coupant ainsi court à des concertations et des débats qui auraient dû pouvoir être menés de façon plus ample.
Nous pensons que l’éclatement des prises en charge psychiatriques du premier cercle strictement psychiatrique, vers le deuxième cercle social et médico-social, ainsi que l’ouverture de la politique de secteur psychiatrique vers le secteur social et médico-social, étaient une nécessité, mais selon nous, tout dépend des pratiques mises en œuvre sur le terrain. Nous sommes contre une médicalisation à outrance de la vie quotidienne des populations.
Nous estimons que le cadre législatif ici adopté est la légalisation de pratiques qui se sont développées progressivement ces trente dernières années, depuis la légalisation de la sectorisation psychiatrique par les lois de 1985 et 1986. Nous avons dans l’article 13 du projet de loi de modernisation de notre santé, le cadre législatif correspondant à un « impérialisme en santé mentale », pour ainsi dire. A une santé-mentalisation des problèmes d’ordre psychiques, mais aussi sociaux, d’intégration, de malaise personnel ou d’inadéquation dans une société qui fait à nombre de ses membres une vie impossible ou à tout le moins difficile et précaire.
Car, à n’en pas douter nous sommes dans la perspective d’un élargissement du premier cercle psychiatrique, au deuxième cercle en santé mentale, des pratiques de contrainte aux soins, et donc aux traitements psychiatriques, des populations prises en charge. Ce qui est un risque grave pour nos libertés, pour les libertés des personnes qui sont parties prenantes des populations fragiles dans ce pays.
A ce titre, si nous pensons qu’une telle évolution était et est inéluctable, il en dépendra à l’avenir des luttes qui seront menées tant par les professionnels en désaccord avec une telle logique, qu’avec les associations d’usagers. Il en dépendra également de l’évolution du droit et de la jurisprudence, puisque le terrain psychiatrique connaît une forte présence des professions judiciaires qui sont de plus en plus amenées à avoir leur mot à dire sur la gestion psychiatrique de premier cercle, des populations. Cet état de fait entraînant également de proche en proche qu’une judiciarisation des pratiques du 2ème cercle (le cercle élargi de la santé mentale) ne pourra en toute logique que se développer.
Nous pensons que la question du libre choix du thérapeute et de l’équipe de santé mentale publique ou privée, dans un dispositif de prise en charge éclaté et considérablement élargi, sous la tutelle des Agences régionale des santé, va devenir une question fondamentale, sur laquelle du contentieux ne pourra guère que se développer.
Il en dépendra donc des luttes menées sur ce terrain pour desserrer l’étau de la médicalisation à outrance de la vie quotidienne des populations prises en charge, pour développer des alternatives thérapeutiques et d’intégration sociale, qui fassent que des personnes promises à la seule contrainte aux soins ambulatoire ou en intra-hospitalier, puissent connaître autre chose, et reprendre leurs vies, leurs droits et leur liberté.
Sur un autre point, nous insistons, de concert avec les psychiatres de l’Union syndicale de la psychiatrie (USP), pour dénoncer les risques de disparition du secret médical en psychiatrie, vu l’éclatement des prises en charge du premier cercle psychiatrique, au deuxième cercle en
santé mentale, incluant les prestataires sociaux et médico-sociaux, mais également municipaux, à travers les Conseil locaux de santé mentale. En effet, la distribution d’une synthèse des dossiers personnels des personnes prises en charge vers ces différents acteurs du territoire concerné, ne pourra que se traduire par un secret médical partagé, qui, progressivement, signera la fin du secret médical en matière psychiatrique. Cela alors même que les troubles mentaux sont particulièrement ségrégués, et qu’une intégration professionnelle peut être totalement percutée par le fait que l’employeur ait connaissance d’antécédents psychiatriques de certains de ses employés.
Question 3, sur l’article 13 bis. Pas de remarque particulière sur ce point.
Question 4, sur l’article 13 ter pour le transfert d’une personne en soins psychiatriques dans un autre établissement de santé.
Sur ce point, nous réitérons notre réserve exposée au député M. Denys Robiliard le 18 mars 2015, selon laquelle il nous semble préférable, dans le cas d’un transfert en Unité pour malades difficiles, que le juge des libertés et de la détention compétent pour connaître d’un contrôle obligatoire d’une mesure de soins sans consentement démarrée dans un établissement et poursuivie dans un autre correspondant à un ressort judiciaire différent, soit celui de l’établissement d’accueil. A défaut on risque de priver de son droit à audience, et donc de l’ l’accès à un juge impartial et indépendant, une personne en mesure d’hospitalisation complète, sans qu’il y ait de motif médical à cela. Le fait que nous connaissions de plus en plus des audiences foraines, dans les établissements d’accueil rend cohérent ce schéma, ainsi d’ailleurs que les dispositions réglementaires couvrant actuellement le fonctionnement des Unités pour malades difficiles (article R-3222-1 et suivants du décret n°2011-847 du 18 juillet 2011, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques). Un avis de la Cour de cassation du 19 janvier 2015, nous semble aller dans ce même sens, puisque la Cour de cassation dit que dans le cas d’un transfert d’une personne hospitalisée sans son consentement, en mesure de soins sur décision du représentant de l’Etat, d’un département à un autre, le préfet compétent pour saisir le juge des libertés et de la détention est celui du département où se trouve l’établissement d’accueil. Nous pensons donc qu’au contraire de cette disposition, c’est le juge des libertés et de la détention couvrant territorialement l’hôpital d’accueil de la personne transférée sous contrainte, qui doit être compétent pour statuer sur la mesure dont le juge des libertés et de la détention avait été saisi alors même que la personne a cessé d’être sur son ressort géographique.
Question 5, sur l’article 13 quater, sur l’isolement et la mise sous contention. Pour nous, cet article qui introduit une traçabilité de la mise en isolement est à conserver précieusement, d’une part parce qu’il correspond à une demande du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, formulée en février 2013, d’autre part par parce qu’il met la France en conformité avec le droit européen et donc avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Citons à cet égard un récent arrêt pris par la CEDH qui a condamné, le 19 février dernier, la Croatie pour une mise à l’isolement de 15 heures pour une personne en état d’incohérence, mais qui ne légitimait pas pour autant cette mise à l’isolement2. La Croatie a été condamnée dans cette instance pour violation de l’article 3 de la Convention européenne, c’est-à-dire pour traitement inhumain et dégradant. La Cour a précisé dans cet arrêt que la mise à l’isolement est une pratique de dernier recours. Or, précisément c’est ce que dit
2 Arrêt M.S. contre Croatie n°75450/12, section I, du 19 février 2015.
l’article 13 quater, qui a au surplus introduit une traçabilité administrative de cet acte le rendant ainsi plus aisément contrôlable.
Question 6, sur les évolutions que nous pensons nécessaires en matière d’organisation des soins psychiatriques. Deux évolutions nous semblent nécessaires :
– Tout d’abord, comme nous l’indiquons dans notre dossier documentaire, nous demandons une réforme de l’agrément des associations d’usagers du système de santé pour la représentation dans les instances sanitaires des usagers. En effet, selon nous les procédures d’agrément actuelles des associations d’usagers ne sont ni démocratiques ni transparentes. Elles placent les associations d’usagers sous la tutelle des pouvoirs publics et des institutions, de sorte que ces associations, une fois agréées, ne peuvent plus remplir leur mission de défense des usagers, parce que dépendantes des pouvoirs publics et des institutions que ces pouvoirs publics gèrent ou co-gèrent. Ce qui provoque que les représentants d’usagers désignés par ce système pour représenter les usagers dans les instances sanitaires, deviennent bien souvent en fait, des agents qui participent à l’étouffement des plaintes des usagers … Nous avons engagé une question prioritaire de constitutionnalité sur ce sujet. Nous sommes dans l’attente de savoir si le Tribunal administratif de Paris transmettra ou non cette question au Conseil d’Etat, et dans ce cas si le Conseil d’Etat transmettra lui-même cette question au Conseil constitutionnel.
– Par ailleurs, il nous semble nécessaire que les patients soient informés, dès que possible, de l’éventail des possibilités de prise en charge, dont celles alternatives aux médicaments, incluant les différentes formes de psychothérapie, de sorte que les personnes suivies en psychiatrie, puissent avoir d’autres horizons que le seul abrutissement médicamenteux auquel trop souvent on convie les patients.
Nous tenons à rappeler pour conclure que nous sommes partisans de cette thèse selon laquelle la liberté est thérapeutique.
Veuillez croire, mesdames, monsieur, en mes respectueuses salutations.
Bordereau de communication de documents :
1°) Présentation du CRPA. 1 page.
2°) Dépêche de l’Agence de presse médicale, du 4 mai 2015. Représentants des usagers en psychiatrie : le CRPA soulève une question prioritaire de constitutionnalité. 1 page.
3°) Article à paraître. La représentation des usagers en psychiatrie : une représentation sans contenu. 4 juin 2015. 7 pages.
4°) Audition par M. Michel Laforcade, 18 novembre 2014. Positions du CRPA sur l’organisation de la santé mentale et de la psychiatrie, au sens de l’article 13°) du projet de loi Santé. 6 pages.
5°) Audition par Mme Bernadette Laclais, députée. Positions du CRPA sur la « démocratie sanitaire » dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale, et sur la sectorisation psychiatrique. 8 décembre 2014. 3 pages.
6°) Article à paraître sur le contrôle judiciaire des hospitalisations sans consentement. 2005 – 2015, éléments pour un comparatif. 7 avril 2015. 7 pages.
7°) Article publié dans l’Information psychiatrique, janvier 2013. La loi du 5 juillet 2011, tournant sécuritaire et « putsch » judiciaire. 4 pages.
8°) Intervention à une journée de formation des avocats organisée par le Syndicat des avocats de France. La loi du 27 septembre 2013. Quelles avancées ? Entre contrainte aux soins et droits de l’Homme. 30 janvier 2014. 6 pages.
9°) Arrêt du Conseil d’Etat du 21 octobre 1998 sur le libre choix du praticien et de l’établissement en psychiatrie. 4 pages.
10°) Article de Me Laurent Friouret, avocat. La revue des droits de l’Homme. L’information de la famille ou d’une personne susceptible d’agir dans l’intérêt de la personne faisant l’objet d’une admission en soins psychiatriques en cas de péril imminent. 16 janvier 2015. 7 pages.
11°) Arrêt de la Cour de cassation, du 4 mars 2015, publié au Bulletin, sur les programmes de soins. 7 pages.
Total = 53 pages.