Soins psychiatriques et non-respect des obligations en cas de contention et d’isolement : quelle sanction et par quel juge ? PANFILI Jean-Marc – élève avocat (cadre supérieur de santé en reconversion professionnelle) – docteur en droit – chercheur associé (Institut Maurice Hauriou – Université Toulouse 1 Capitole) 17/07/2017 Devant de nombreux abus constatés, le législateur est enfin intervenu en 2016 [1], pour encadrer les pratiques d’isolement et de contention en soins psychiatriques (I). Le juge des libertés et de la détention (JLD) se saisit progressivement des situations d’isolement et de contention, lors de ses contrôles des mesures de soins psychiatriques sans consentement (II). I. L’intervention du législateur : des avancées et des lacunes L’art L. 3222-5-1 du CSP dispose en préalable que « l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours ». Ces moyens ne sont utilisables que pour « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée ». Il s’agit ici d’une précision essentielle, car ces pratiques n’ont rien de thérapeutique, puisqu’elles permettent seulement, dans des situations extrêmes d’agitation, de prendre des mesures conservatoires de protection du patient et (ou) d’autrui. De plus, outre la motivation exceptionnelle, le texte prévoit que « Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin ». Cette surveillance nominative doit être tracée. A cette fin, « Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie », sur lequel « Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, (est mentionné) le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée ». Enfin, ce registre fait l’objet d’un visa non systématique, puisqu’il « doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires ». A noter également, que le législateur oblige l’établissement à établir annuellement un rapport, rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, de la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et de l’évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l’établissement. Il est d’ailleurs étonnant que le législateur n’ait pas prévu explicitement la communication de ce registre aux autorités judicaires lors de leurs visites telles que prévues par l’art L. 3222-4 du même code, à moins que cela soit implicite, puisque dans ce cas le président du tribunal de grande instance et le procureur de la République procèdent, le cas échéant, à « toutes vérifications utiles ». Les règles sont strictes, mais quelles sont les sanctions applicables en cas de manquements à ces obligations, et quelle est l’autorité compétente à cette fin ? Précisément, se pose la question de la compétence éventuelle du juge judiciaire, lors des contrôles de mesures de soins sans consentement, au titre des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 du CSP. De plus, il reste à déterminer si les mesures d’isolement ou de contention irrégulières entrainent une atteinte aux droits de la personne qui en fait l’objet, au sens de l’article article L. 3216-1 du CSP, justifiant ainsi une mainlevée. II. Le contrôle occasionnel par le juge judiciaire En l’absence de décisions de cassation, la jurisprudence judiciaire de 1e instance et d’appel commence à délimiter la place des pratiques d’isolement et de contention, et la portée de l’art. L. 3222-5-1 du CSP dans les contrôles de mesures de soins sans consentement. La Cour d’appel de Versailles est particulièrement innovante en la matière, sous l’impulsion d’avocats très investis dans ces procédures. Plusieurs décisions de mainlevée sont intervenues pour non-respect des dispositions de L. 3222-5-1 du CSP, relatives à l’isolement et à la contention, considérant que les mesures d’isolement ou de contention irrégulières entrainent une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l’objet, au sens de l’article article L. 3216-1 du CSP, justifiant ainsi une mainlevée. – Conditions irrégulières – isolement – contention – charge de la preuve En appel [2], le juge d’appel s’est d’abord reconnu compétent, en considérant que ces pratiques étaient gravement attentatoires à la liberté d’aller et venir. Le magistrat a également précisé un point essentiel, en indiquant, à l’inverse du juge de 1e instance, que la charge de la preuve du respect des obligations reposait sur l’établissement d’accueil du patient. Plus récemment, en 1e instance le JLD [3] a décidé une mainlevée différée de 24 heures, au motif qu’en l’espèce « la mise en chambre de soins intensifs […] est consécutive, non pas à la volonté de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui, mais au souhait de prévenir un risque de fuite de la part de l’intéressé […] ». Ainsi, le recours à l’isolement ne répondait pas aux finalités prévues par la loi, à savoir de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui. De même, dans un autre cas le JLD [4] a prononcé une mainlevée différée de 24h, car le patient en soins sur décision du représentant de l’Etat, n’avait pas bénéficié de la surveillance prévue à l’art. L. 3222-5-1 du CSP. En l’occurrence, il ressortait du registre de l’établissement, que la surveillance avait d’abord été assurée dans un premier temps, seulement par un agent de sécurité (…), à la place des professionnels de santé normalement requis à cette fin. Ensuite il n’y avait plus eu aucune surveillance. Le magistrat a considéré que la situation faisait grief à l’intéressé, et justifiait en conséquence la mainlevée des soins sans consentement. Ici, les conditions de surveillance n’étaient pas respectées. Le JLD [5] a décidé la mainlevée différée de 24h d’une mesure d’hospitalisation sur décision du représentant de l’Etat, alors que l’Hôpital avait versé au dossier le registre du placement en isolement. Il a été retenu que l’absence d’informations relatives à la motivation (dommage imminent pour le patient ou pour autrui), ou à des observations permettant de connaître les raisons de dernier recours justifiant le placement en isolement, violait l’article L. 3222-5-1 du CSP. Une autre décision de mainlevée différée de 24h a été rendue par le JLD [6], au motif que « les conditions ayant présidé à cette mesure extrême (placement en chambre d’isolement) sont insuffisamment détaillées, les troubles du comportement ayant motivé l’hospitalisation sous contrainte étant en eux même insuffisants pour justifier cette pratique clinique. » – Transmission au JLD des documents relatifs à l’isolement – contention La question se posait également, quant à l’obligation de transmette au juge, à l’occasion du contrôle, les documents relatifs à l’isolement et à la contention. En effet, l’art. L. 3222-5-1 du CSP ne prévoit pas explicitement cette transmission au JLD lors de la procédure de contrôle. Cependant, le juge d’appel [7] appelé à statuer a considéré à ce propos, que l’encadrement des mesures de contention et d’isolement implique la présentation au JLD d’un dossier complet, incluant toutes les informations relatives aux mesures d’isolement et de contention. S’agissant de mesures gravement attentatoires aux droits de la personne, leur absence au dossier prive le juge d’un moyen de contrôle effectif du respect par l’administration de la liberté individuelle, et des droits du patient. La décision s’appuie sur le 4° de l’article R. 3211-12 du CSP, disposant que « Sont communiqués au JLD afin qu’il statue : (…) 4° Une copie des certificats et avis médicaux prévus (…), et de tout autre certificat ou avis médical utile, dont ceux sur lesquels se fonde la décision la plus récente de maintien des soins ». En résumé, les certificats et avis médicaux, y compris les éléments figurant au registre, relatifs à une mesure de mise en isolement et(ou) de contention, peuvent être considérés comme des informations « utiles », qui sont incluses parmi les documents médicaux obligatoirement transférés au greffe du JLD, afin d’éclairer le contrôle judiciaire de la mesure. Dans une autre affaire venant devant le JLD [8], un patient en soins sur décision du représentant de l’Etat a déclaré à l’audience, avoir été placé en isolement dès son admission, information confirmée par le certificat médical de 24h. En l’espèce, l’absence des pièces afférentes au dossier transmis au juge, notamment du nom du psychiatre prescripteur de la mesure d’isolement, et des professionnels ayant assuré la surveillance, ne permet pas au juge de s’assurer du respect des dispositions de l’article L. 3222-5-1 du CSP. Cette situation fait nécessairement grief au patient, ce qui entraîne une mainlevée différée de 24h. De même, le JLD [9] a prononcé une mainlevée différée de 24h pour un patient admis en urgence à la demande d’un tiers. En l’espèce, aucun élément relatif à l’isolement subit par le patient ne figurait au dossier transmis au juge. Dans un autre cas, le JLD [10] a prononcé une mainlevée différée de 24h pour un patient admis sur Demande de tiers de droit commun, car les documents relatifs à l’isolement étaient illisibles. – La mise en chambre de « soins intensifs » vaut isolement Il convient également d’être attentif à la définition de certaines pratiques. En l’occurrence, selon les recommandations de la Haute autorité de santé (critère 10e du manuel de certification HAS 2014), s’inspirant de la circulaire VEIL n° 48 DGS/SP3 du 19 juillet 1993, l’isolement est constitué dès que le patient se trouve seul dans une chambre verrouillée. A ce propos, le juge d’appel [11] prononçant la mainlevée des soins contraints en hospitalisation complète, considère d’abord et contrairement à ce que dit le préfet, que le non-respect des dispositions légales prévues pour l’isolement et(ou) la contention, constitue une irrégularité susceptible de justifier la levée de la mesure d’hospitalisation complète. En l’espèce, il ressortait du dossier transmis au juge, que le patient en soins sans consentement sur décision du représentant de l’Etat avait été placé en « chambre de soins intensifs ». Contrairement au JLD qui avait considéré en 1e instance, que la chambre de soins intensifs ne relevait pas des règles relatives à l’isolement, la décision d’appel indique qu’« au vu de la littérature professionnelle », la mise en « chambre de soins intensifs » correspond bien à l’isolement prévu par l’article L. 3222-5-1 du CSP. – Quelques heures suffisent à constituer un isolement Une décision de mainlevée du JLD [12] est intervenue, pour un patient hospitalisé à la demande d’un tiers, ayant fait l’objet d’un isolement de 2 à 3 heures. Le patient a déclaré à l’audience, avoir été placé en isolement. En l’espèce, l’absence des pièces afférentes au dossier transmis au juge, notamment du nom du psychiatre prescripteur de la mesure d’isolement, et des professionnels ayant assuré la surveillance, ne permet pas au juge de s’assurer du respect des dispositions de l’article L. 3222-5-1 du CSP. Cette situation fait nécessairement grief au patient, ce qui entraîne une mainlevée de la mesure différée de 24h. – Production du registre d’isolement nécessaire au respect du principe contradictoire Le JLD [13] a prononcé la mainlevée pour un patient hospitalisé sur décision du représentant de l’Etat, car le registre d’isolement avait été versé tardivement, ceci ne permettant pas de respecter le principe contradictoire. De plus, il manquait les justifications de danger imminent pour le patient ou pour autrui, ainsi que celles relatives au dernier recours. III. Vers un contrôle spécifique et systématique par le juge judiciaire Cette évolution judiciaire apporte des indications importantes. Les établissements doivent se montrer particulièrement rigoureux, en s’assurant d’abord que le recours à l’isolement, et à la contention, sont bien nécessaires en dernier recours. En outre, il doit s’assurer que les modalités de prescription et de surveillances sont conformes, ainsi que de leur traçabilité. En outre, ils doivent organiser la transmission de ces informations au juge. En effet, en cas de mise en cause, l’établissement est présumé fautif, et doit prouver qu’il a rempli l’ensemble de ses obligations. Le risque réside dans des irrégularités amenant d‘une part la mainlevée des soins sans consentement pour le patient, alors qu’il en a encore besoin, et d’autre part dans d’éventuelles recherches de responsabilité de l’établissement, pour la réparation des conséquences dommageables au sens de l’article L. 3216 du CSP. En effet, outre les contrôles par les autorités et commission prévus par le texte, tout manquement de l’établissement en la matière constitue un moyen potentiel à soulever à l’avenir par les avocats, devant les juridictions amenées à statuer. Si dans des décisions d’espèce, le JLD peut se saisir de ces pratiques à l’occasion de ses contrôles, rien n’est prévu dans les intervalles. Un recours gracieux [14] a donc été introduit contre l’instruction ministérielle [15] relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention, considérée par les requérants comme insuffisante, au regard des enjeux. Le recours souligne que les mesures d’isolement et de contention ont pour effet de restreindre de manière très significative les droits et libertés des personnes qui en font l’objet. Elles causent grief aux intéressés, qui devraient à ce titre être mis en mesure de faire valoir leurs observations, directement ou par l’intermédiaire d’un avocat, ce qui n’est pas prévu. De plus, s’agissant de décisions très fortement restrictives des libertés, elles doivent nécessairement être notifiées aux patients, avec indication des recours dont ils disposent pour en obtenir la levée. Surtout, le recours énonce qu’au regard de leurs effets, ces mesures portent une telle atteinte aux droits et libertés individuelles, qu’elles doivent être contrôlées systématiquement par le Juge judiciaire gardien des libertés, en application des règles prévues à l’art. 66 de la Constitution. Toutefois, la question des moyens nécessaires sera déterminante, puisque cela alourdirait encore l’office du JLD. Ce recours qui est symbolique, vise moins à faire modifier l’instruction ministérielle, qu’à provoquer des éclairages indirects favorables aux droits des patients. Toutefois, une évolution ne pourra intervenir que par la loi, ou l’intervention d’une jurisprudence en ce sens de la Cour de cassation. Il s’agira d’une part d’intégrer dans le droit les raisonnements utilisés par le juge du fond, et d’autre part de déterminer si l’intervention du juge est nécessaire pour chaque décision d’isolement et (ou) contention, indépendamment des contrôles déjà prévus.
[1] Article L. 3222-5-1 du CSP créé par LOI n°2016-41 du 26 janvier 2016 – art. 72 [2] CA de Versailles, ordonnance de mainlevée du 24 octobre 2016, n°16/07393. [3] TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 4 mai 2017, n°17/00699. [4] TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 24 mai 2017, n°17/00813. [5] TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 20 juin 2017, n°17/00996. [6] TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 23 juin 2017, n°17/01010. [7] CA de Versailles, ordonnance de mainlevée du 29 mai 2017, n°17/04051. [8] TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 29 juin 2017, n°17/01044 [9] TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 7/07/2017, n°17/01092 [10] TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du10/07/2017, n°17/01081. [11] CA de Versailles, ordonnance de mainlevée du 16 juin 2017, n°17/04374. [12] TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 03 juillet 2017, n°1701064 [13] TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du 07 /07/2017, n°17/01087 [14] Recours gracieux du CRPA, adressé au ministère de la Santé, contre l’instruction DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017. [15] INSTRUCTION N° DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement