La question de la responsabilité pénale du psychiatre revient au premier plan de l’actualité de temps à autre. Nous contribuons ici au débat nécessaire en rééditant cet article d’Olivier Boitard, secrétaire de l’USP, paru initialement dans L’Information psychiatrique en mai 2013, et qui est toujours d’actualité.
La responsabilité pénale du psychiatre : quelle évolution ?
Lors du colloque de l’Association pour l’évaluation et la formation continue des psychiatres (AEFCP) du 17 janvier 2013, intitulé « La responsabilité pénale en question », il a été traité essentiellement de la responsabilité de nos patients en fonction de leurs troubles psychiques.
Nous ne pouvions cependant nous empêcher de penser à la question de la responsabilité pénale du psychiatre, surtout depuis la condamnation à un an de prison avec sursis d’une de nos collègues de Marseille, déclarée coupable d’homicide involontaire après un assassinat commis par un de ses patients.
Nous ne reviendrons pas sur le fond de l’affaire qui a beaucoup choqué la profession, en raison d’une instruction essentiellement à charge, s’appuyant sur une expertise totalement à charge, avec certains articles de presse qui ne laissent pas de surprendre comme l’éditorial du Monde du 20 décembre 2012 : « La psychiatre et l’assassin : un jugement courageux ».
On marquera cependant d’une pierre blanche l’analyse de Bernard Odier dans Res publica : « À propos de l’affaire de Marseille » à laquelle le lecteur pourra se référer.
Ce que nous souhaitons souligner ici, c’est un effet inattendu de la réforme du Code pénal en 1992 qui a, à notre avis, sinon permis, du moins favorisé la condamnation de notre collègue.
L’article 64 du Code pénal de 1810 prévoit l’absence de responsabilité selon ces termes : « il n’y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister ». Cet article est considéré comme fondateur de la psychiatrie, car le juge seul ne pouvant décider si le prévenu était en état de démence au moment des faits, il va demander l’avis d’un expert de cette pathologie : l’aliéniste.
Si « une force à laquelle il n’a pu résister » est une formule qui reste étonnamment moderne, nul doute qu’un toilettage s’imposait pour la démence dont la signification s’est considérablement rétrécie et se limite désormais à la perte des fonctions cognitives. « Il n’y a ni crime, ni délit » est une expression qui choquait de plus en plus les victimes et l’opinion publique en général. À tort, à notre avis, car il n’était pas question de nier l’acte violent mais sa qualification, crime et délit étant des termes juridiques dont la responsabilité appartient in fine au magistrat. Un autre terme mal compris, le non-lieu (comment ? l’acte n’a-t-il pas eu lieu ?) a mieux résisté, pour être finalement accepté dans un sens juridique : il n’y a pas lieu de poursuivre.
L’article 122-1 du nouveau Code pénal de 1992 est plus détaillé : « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable : toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime ».
Outre qu’il introduit une distinction entre abolition et altération (soit deux alternatives à la responsabilité) qui a eu des conséquences importantes sur lesquelles nous ne reviendrons pas, il est donc reconnu implicitement dans ce nouvel article qu’il y a donc eu crime ou délit. Qui dit crime ou délit, suppose l’existence d’une personne qui le commet, soit un criminel ou un délinquant. Si ce n’est pas celui qui a commis directement l’acte, les victimes, les proches des victimes, la justice chercheront un responsable.
Dans l’affaire de Marseille, cette recherche a ciblé un expert psychiatre – finalement mis hors de cause – et la psychiatre traitant de l’auteur direct du crime, ce dernier n’était pas le « criminel » puisque une irresponsabilité avait été reconnue.
Si nous étions restés pour cette affaire dans la conjoncture d’avant 1992 et de l’article 64, l’absence de crime au sens juridique du terme aurait entraîné l’absence de criminel. Aurait-on malgré tout cherché un(e) responsable ? C’est possible, mais la défense aurait eu des arguments supplémentaires, qu’elle ne pouvait plus évoquer dans le cadre de l’article 122-1. La responsabilisation indirecte d’un expert ou d’un soignant en cas de crime ou délit – dans laquelle la responsabilité directe de l’auteur n’a pas été retenue en raison de l’abolition du discernement – est rendue plus facile par le législateur de 1992, ce qu’à notre connaissance, il n’avait pas prévu.
Olivier Boitard