Lettre ouverte du 23 novembre 2018 à Madame la ministre de la Santé
Madame la ministre de la Santé,
Pédopsychiatre dans le Maine et Loire, je me permets de vous interpeller en cette journée des droits de l’Enfant au sujet des annonces que vous avez faites ce jour, notamment concernant l’effort porté au signalement des violences contre les mineurs, via entre autres la promotion du 119 et une meilleure formation des médecins.
Il y a maintes choses à redire concernant les modalités de ces signalements et informations préoccupantes. Amenée à en effectuer pour des cas de maltraitances graves et avérées, je ne peux que regretter le peu d’actes concrets qui suivent les lourdes démarches effectuées, souvent sans aucun retour.
Aménager le processus de signalement pour permettre une meilleure coordination entre les différents acteurs de la protection de l’enfance serait bénéfique, mais ça n’est pas le plus urgent. Nous avons besoin de mesures concrètes pour faire face à la pénurie de places en milieu extra familial pour garantir à ces enfants une sécurité minimale et ainsi leurs permettre l’accès aux soins psychiques post traumatiques
J’avoue avoir été extrêmement déçue par les réponses que vous avez apportées, qui ne sont pas à la hauteur des difficultés auxquelles les professionnels de la protection de l’enfance sont confrontés dans le contexte d’une pseudo logique comptable
Notre système de protection de l’enfance se montre de plus en plus défaillant, si ce n’est maltraitant, et peine à accomplir sa mission. Pensez-vous sérieusement que nous sommes en mal de signalements ? Deux cents rien que pour notre département, voilà le nombre de mineurs dont les signalements ont été jugés suffisamment inquiétants pour qu’une demande de placement (reformuler) soit faite sans être satisfaite. Quel intérêt d’accentuer l’effort sur le signalement si aucune prise en charge n’est possible ? Pourquoi rien n’est fait pour pallier ce problème endémique ? Souhaitez-vous accentuer le « placement à domicile », qui permet qu’on renvoie les enfants maltraités dans l’environnement qui a favorisé cette maltraitance ?
Les travailleurs sociaux croulent sous la charge de travail faute d’effectifs suffisants. Les turn-over incessant empêchent toute continuité relationnelle.
En résulte une prise en charge à minima des enfants, des liens d’attachement insecures.
Plus qu’un manque d’investissement, c’est le désinvestissement de l’Etat de ce secteur pourtant essentiel au maintien du vivre-ensemble qui semble en cours. Comment expliquer autrement la vente des foyers au moins coûtant. La vie en foyer n’a jamais été la panacée mais force est de constater que le turn-over permanent des encadrants nuit à ces enfants vulnérables ainsi plongés dans l’insécurité du lien d’attachement, ce qui amène une recrudescence des violences, qu’elles soient à l’encontre de leurs encadrants ou entre pairs .
En cette journée des droits de l’Enfant, il me semblait essentiel de rappeler l’Etat, dont vous êtes la représentante, à son devoir de garantir leurs droits à ces enfants. S’ils ne sont bien souvent pas aptes à l’exprimer, leurs droits et leur dignité sont trop souvent bafoués par des institutions qui ne pensent qu’à leur propre logique.
Aussi je me permets de vous interpeler face à cette situation préoccupante voire alarmante des enfants confiés à l’Etat et notamment au ministère de la Santé et de la Solidarité dont vous êtes garante. Je vous invite à venir constater la réalité des faits énoncés sur le terrain.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Madame la ministre de la Santé, l’expression de mes salutations distinguées,
Nathalie Batardière, membre du conseil national de l’USP