Pédopsychiatres et psychiatres du service public exigent des excuses à la suite des propos outranciers de Sophie Cluzel, Secrétaire d’Etat au Handicap en responsabilité « des enfants les plus vulnérables » et de leurs familles
Madame la secrétaire d’État au Handicap,
Copie à Monsieur le président de la République
à Madame la ministre de la Santé et des Solidarités
Madame la secrétaire d’Etat au Handicap,
Psychiatres et pédopsychiatres du service public, nous sommes atterrés par votre sortie médiatique sur les ondes de RMC. Vous y avez affirmé votre volonté « de ne plus placer les enfants autistes devant un psychiatre », en dénonçant une « prise en charge inadéquate dans les hôpitaux psychiatriques où ils n’ont rien à faire ». Vous avez même souhaité « que l’on arrête de parler de psychiatrie ». Nous vous demandons des excuses. Nous ne pouvons accepter la violence de vos propos et nous nous interrogeons sur les enjeux de votre intervention.
Il ne peut s’agir d’erreurs à répétition. Après Marie-Arlette Carlotti, Ségolène de Neuville, les gouvernements se suivent, mais les secrétaires d’État au Handicap lancent leurs bombes les unes après les autres à l’encontre du travail effectué par les psychiatres et les équipes hospitalières. Ils annulent ainsi les constats de notre ministre de tutelle réaffirmant la nécessité d’allouer plus de moyens à l’hôpital public.
Tout d’abord nous tenons à vous rassurer : nous, psychiatres ou pédopsychiatres, ne sommes pas contagieux et notre contact ne peut induire les troubles du développement. Face à ce qui est un diagnostic médical, nous rencontrons des enfants porteurs de troubles du spectre autistique (TSA) au même titre que nos confrères pédiatres (neuro). « Le passage devant un psychiatre » ne peut être la cause du trouble du développement. Tout comme vous avouerez qu’il serait simpliste d’attribuer à nos confrères cardiologues ou oncologues la responsabilité d’un infarctus du myocarde ou d’un cancer qu’ils viennent de diagnostiquer.
Nous ne pouvons croire que vous méconnaissiez, Madame, à ce point la nature des handicaps des personnes présentant des troubles du spectre autistique (TSA) dont vous avez la responsabilité. Tous ces enfants n’ont pas la chance d’être de haut niveau (Asperger). Nous ne rencontrons d’ailleurs que très rarement ces enfants Asperger pour lesquels le plan de stratégie nationale contre l’autisme a d’ailleurs été fait, et donc ne s’adressant pas aux problématiques de la grande majorité des enfants et adultes « TSA ».
Aussi nous ne pouvons accepter vos propos aussi grotesques que calomnieux.
Nous tenons encore et encore à réaffirmer nos positions éthiques :
Non, L’annonce du diagnostic TSA ne peut le plus souvent se suffire à lui-même. Il s’agit de penser « l’après » et donc l’aide à apporter face aux conséquences des troubles. Si, en tant que médecins, nous sommes engagés dans le diagnostic le plus précoce possible au côté de nos confrères (neuro) pédiatres, il nous est par contre impensable de laisser les enfants et les parents sans prise en charge après l’annonce de cette mauvaise nouvelle. Que penseraient le patient et sa famille d’un rééducateur fonctionnel qui, après le bilan diagnostique d’une paraplégie, ne proposerait aucune prise en charge? L’annonce diagnostique est suivie d’une lutte pour que les troubles et les fonctionnements spécifiques ne soient pas un handicap. C’est d’ailleurs au prix de ce combat sans relâche, grâce à la pertinence des outils utilisés, que nombres d’enfants « TSA » accueillis en pédopsychiatrie ne deviendront pas des adultes relevant de votre secrétariat au handicap.
Non, nous ne pouvons pas abandonner les enfants « TSA » et leurs familles alors que les risques d’exclusion sociale sont inhérents à ces troubles. La psychiatrie hospitalière a de tout temps été celle qui accueillait ces enfants et adultes dont personne ne voulait. Nous plaidons pour une psychiatrie intégrative et humanisante. Nous revendiquons encore et encore la nécessité d’accueil pour ces enfants en détresse, des réponses concrètes à ces familles démunies face à cet enfant qui ne parle pas, qui ne dort pas, qui ne mange pas, qui fait des crises au moindre changement de lieu d’activité.
Non, les services hospitaliers ne discriminent pas les patients. Ils accueillent tout type de troubles, y compris ceux qui sont à risque de faire exploser les institutions. Nous revendiquons les moyens d’accueillir ces enfants lorsque nécessaire, au sein d’un hôpital solidaire qui peut se révéler être le seul espace restant.
Non, nous ne réclamons pas le monopole : l’accueil de ces enfants en grande difficulté ne peut se faire qu’en partenariat avec les familles ; c’est un travail d’équipe et multidisciplinaire avec des éducateurs, infirmiers, orthophonistes, psychomotriciens et autres. Dans les situations les plus graves, nous créons avec le médico-social un maillage interinstitutionnel dans la complémentarité de nos différentes missions, éducative, pédagogique et de soins. Nous sommes mus par le trépied « l’éducatif toujours, le pédagogique si possible, et le soin si nécessaire ».
Que proposez-vous à ces enfants et à leurs parents épuisés par leurs enfants diagnostiqués TSA, souffrant d’insomnie résistante aux traitements, d’une agitation psychomotrice, auto et/ou hétéro-agressifs, présentant des troubles majeurs de l’alimentation ? Quel espace proposez-vous pour ces enfants ou adultes en crises faisant exploser tout espace collectif (famille IME, école) ? Que proposez-vous lorsque ces personnes viennent aux urgences ? Devant quel médecin, autre que le psychiatre, pensez-vous qu’ils puissent venir ?
En mettant ainsi l’opprobre sur la psychiatrie et la pédopsychiatrie, qu’est-ce qui vous conduit à tromper le grand public et les familles quant à ses ennemis ?
En nous désignant comme bouc émissaire de l’incurie de l’Etat, peut être retardez-vous le moment où les familles vous demanderont des comptes ! Aux côtés des familles, nous souhaitons connaître vos propositions face au manque de places adaptées au sein des institutions médico-sociales, en particulier en ESAT et en foyer occupationnel.
En interdisant « le passage devant un psychiatre », vous évitez ainsi que des médecins ne se fassent les porte-voix des épreuves vécues par la majorité des TSA « non haut niveau », présentant un retard global, sans accès au langage, avec des comorbidités (auto-et/ou d’hétéro-agressivité).
En vous exprimant ainsi, vous effectuez un clivage dramatique entre les missions de la solidarité et de la santé et celles du handicap. Vous dissociez de façon tout à fait archaïque la souffrance physique, la souffrance psychique et la souffrance sociale. Vous apparaissez ainsi hors de la réalité vécue des humains présentant des handicaps et de leurs familles placés sous votre responsabilité.
Nous sommes fiers du travail que nous effectuons chaque jour sur le terrain avec les familles et les institutions partenaires : médico-social, CAMSP, Aide sociale à l’enfance et Education nationale. Aussi, nous vous demandons une juste reconnaissance du travail effectué auprès de ces enfants les plus vulnérables et futurs adultes pour lesquels nous constatons chaque jour la pertinence et les bienfaits d’un travail d’équipe et entre équipes. Pour toute cette énergie, ce temps déployé au service des plus vulnérables, nous revendiquons le respect.
Aussi nous exigeons des excuses publiques pour vos propos disqualifiant nos compétences et notre engagement professionnel.
Face à votre discours discriminant et glaçant, nous opposons nos inventions thérapeutiques « sur mesure » et notre détermination éthique qui sont des graines semées auprès des enfants les plus vulnérables et leurs familles et qui nous permettent de rêver en ce printemps nouveau.
Pour le Conseil national de l’USP
Nathalie Batardière et Pascal Boissel