La psychiatrie à visage non humain
Depuis janvier 2021, la Commission nationale de la psychiatrie (CNP) s’est installée pour définir les grands axes de la psychiatrie de demain. Ses missions ont été définies dès le départ par le président de la République, notamment d’être « force d’expertise », d’« aider à la mise en place des réformes » et préparer les Assises nationales de la psychiatrie et de la santé mentale. Les options politiques choisies ne font guère mystère, les rapports récents de la Cour des comptes et de l’IGAS leur servant de support en prônant la fin de l’accueil inconditionnel pour tous propre à la psychiatrie de secteur, la gradation des soins, l’organisation par filières, la bascule vers le libéral des pathologies dites légères.
Parmi l’une des premières productions de la CNP, la synthèse de la sous-commission Recherche clinique et innovations a pris les autres de vitesse. Cette production semble placer l’imagerie cérébrale hyperspécialisée et le traitement par l’intelligence artificielle des données recueillies comme l’alpha et l’oméga du diagnostic et du suivi des patients présentant des pathologies psychiatriques. Si cela s’avérait être l’orientation de la psychiatrie à venir, cela tiendrait plus d’un prochain épisode de Black Mirror que d’une recherche scientifique avec ses tâtonnements dialectiques.
Qu’en est-il de l’humain là-dedans ? Les patients sont-ils des rats de laboratoire ? L’origine biopsychosociale des troubles psychiques et psychiatriques n’est plus à prouver et c’est bien dans cette triple dimension qu’il faut aborder ces questions. La crise sanitaire liée au SRAS-CoV-2 nous le montre tous les jours. Quand un individu n’a plus de relation sociale, affective, quand il se retrouve isolé, n’a plus de perspective dégagée concernant son avenir et celui de la société, quand il subit de plein fouet les conséquences économiques, son état mental en est altéré. L’explosion des demandes de soins psychiques en atteste.
Mais l’heure n’est plus à la rencontre, à l’écoute. Les récits de vie ne comptent plus. Les affects sont ignorés. L’homme est devenu machine comme celle qui va venir photographier son cerveau et en traiter les données. Des plateformes viennent non seulement tout organiser dans nos vies, mais des agents conversationnels (chatbot !) proposent maintenant des suivis à distance et automatisés. Plus besoin de professionnels formés, sauf à programmer les machines et mettre en place les algorithmes.
L’innovation dans ce monde : l’homme robot, l’homme rouage du flux, l’homme consommateur, l’homme qui ne questionne plus, ni lui-même, ni le collectif, ni le politique.
Delphine Glachant, présidente
Pascal Boissel, vice-président