Un fait divers atroce, l’assassinat d’une adolescente prénommée Lola, a été l’occasion d’une campagne de l’extrême-droite et de la droite contre les immigrés et aussi contre les experts psychiatres censés faire échapper les monstres à u lynchage bien mérité. Il y a des faits divers qui deviennent des faits de société, qui passent à la postérité, qui marquent les imaginaires. De par la volonté politique d’une extrême-droite toujours plus radicalisée, cette affaire est déjà devenue un fait de société, ainsi que Zemmour l’a proclamé. C’est une campagne médiatique qui s’est déchainée avec un journal comme Valeurs actuelles ou un média comme C8. C’est une remise en cause de l’État de droit qui a lieu, nous allons essayer de la préciser.
Rappelons encore un fois quelques notions :
Les malades mentaux sont plus souvent victimes de violences que responsables de violences.
Les prisons accueillent dans des conditions terribles des personnes délirantes en proportion importante, leur place devrait être dans des institutions psychiatriques.
Il existe des meurtres commis par des personnes délirantes, elles furent dans l’histoire considérées irresponsables pénalement et relevant d’une prise en charge psychiatrique. Puis, dans une période plus récente, leur responsabilité fut considérée comme éventuellement atténuée. Évolution qui se fit notamment pour qu’il y ait procès.
La désagrégation des institutions psychiatriques, au profit du développement de cliniques privées souvent, fait que la prise en charge des personnes en souffrance psychique est en grand déclin.
Et l’on ne peut que citer la crise qui atteint aussi les services de protection de l’enfance, l’institution judiciaire et maintenant de la police judiciaire.
Maintenant, rappelons les faits, ce fait divers.1
A Paris, vendredi 14 octobre, le corps ligoté d’une adolescente de 12 ans a été retrouvé dans une malle. La disparition de la jeune fille avait été signalée par ses parents dans l’après-midi car elle n’était pas revenue du collège. Une suspecte, âgée de 24 ans, a été interpellée et placée en garde à vue par les enquêteurs, samedi 15 octobre.
Dans un communiqué, le parquet de Paris a donné plus de détails sur la mort de l’adolescente et les déclarations de l’accusée : « Elle aurait entraîné la victime jusqu’à l’appartement de sa sœur, vivant dans le même immeuble que l’enfant, elle lui aurait imposé de se doucher avant de commettre sur elle des atteintes à caractère sexuel et d’autres violences ayant entraîné la mort ». Plusieurs plaies à la gorge ont été constatées sur le cadavre de l’adolescente, elle aurait été asphyxiée. L’accusée avait transporté une valise lourde dans la soirée précédant le drame, entre le lieu du crime et un autre lieu puis retour et laissé la valise dans la cour de l’immeuble où elle fut remarquée par une personne SDF, le cadavre supplicié de Lola y fut retrouvé par la police.
Ce fait divers horrible a bien sûr suscité une vive émotion dans le pays.
La principale suspecte, Dahbia B., 24 ans, d’origine algérienne, avait fait l’objet d’une obligation de quitter la France (OQTF) depuis le 21 septembre 2022, pour défaut de présentation d’un titre de séjour valide. Elle était arrivée en France en 2016 avec un visa d’étudiante. Elle était SDF, elle venait se réfugier parfois chez sa sœur locataire dans l’immeuble dont les parents de Lola sont les gardiens. Sa mère était morte récemment, elle n’avait pas d’antécédents judiciaires et psychiatriques. Incarcérée et placée à l’isolement, elle est mise en examen pour viol, actes de barbarie et meurtre.
Elle doit faire l’objet d’une expertise psychiatrique prochainement. À ce stade, « son mobile n’est toujours pas clairement établi », on sait qu’elle a agi seule. On évoque ses propos incohérents.
Les droites radicales1,2, 3
Ce meurtre atroce a pris rapidement une tournure politique, sur les réseaux sociaux d’abord, puis dans les émissions de talk-show et même jusqu’à l’Assemblée nationale ou au Sénat, avec la droite radicale et l’extrême droite à la manœuvre.
Mardi après-midi, Marine Le Pen, pose une question à « madame la première ministre » :« Une fois de plus, la suspecte de cet acte barbare n’aurait pas dû se trouver sur notre territoire et ce, depuis plus de trois ans. Une fois de trop. Et vous ne pourrez pas évacuer le sujet. […] Cent fois, madame la première ministre, nous vous avons interpellée sur ce laxisme migratoire, sur ces obligations de quitter le territoire dont 90 % ne sont pas exécutées. »
La barbarie, selon cette notable, est le fait de migrants.
Le Rassemblement national n’est pas le seul à être monté au créneau dans l’hémicycle. Le député LR Éric Pauget a lui aussi parlé de « barbarie ». « […] Lola a perdu la vie parce que vous n’avez pas procédé à l’expulsion de cette ressortissante qui n’avait plus rien à faire ici : voilà la lourde conséquence de votre inaction. » Et de poursuivre : « Je réclame un droit au procès pour Lola. La France ne saurait tolérer l’irresponsabilité de bourreaux qui n’ont leur place que dans l’avion ou en prison. ». Chez les Républicains encore, Eric Ciotti a tancé un « laxisme migratoire criminel », avant que son concurrent à la présidence du parti, Bruno Retailleau, annonce le dépôt prochain d’une proposition de loi pour engager « la responsabilité de l’État lorsqu’il manque à ses obligations ».
La droite de la droite s’attaque donc à toute notion d’irresponsabilité de malade mental ; cette notion a évolué mais elle reste un pilier du droit pénal.
Le média C82, 3, 5, 6
Pascal Praud commence son émission du 18 octobre par un édito solennel : « La mort de Lola, 12 ans, est un miroir de notre société : barbarie gratuite, immigration hors contrôle, État impuissant… La mort de Lola n’est peut-être pas un hasard, elle est sans doute une conséquence, la conséquence d’une politique qui laisse sur le sol de France des individus qui n’ont rien à y faire. »
C’est le même registre de qualificatifs employés par ce journaliste et par la droite et l’extrême-droite.
L’émission « Touche pas à mon poste », toujours sur C8, s’empare elle aussi de l’affaire, et Cyril Hanouna menace les experts judiciaires appelés à se prononcer sur l’éventuelle irresponsabilité pénale de la principale suspecte. « Pour moi ce serait un drame absolu que les psychiatres la déclarent irresponsable… ».
Celui qui a fait sa mue d’amuseur public en penseur politique à l’occasion des dernières élections, se sent en droit de dire le droit et de juger la psychiatrie.
Dans cette émission, ces derniers jours, on n’a pas cessé d’exiger: justice expéditive sans droits de la défense, enfermement à vie, peine de mort rétablie, refus de prisons simplement vivables. Rappelons que plusieurs membres du gouvernement ont participé ces dernier mois au talk-show d’Hanouna. Et que c’est le milliardaire reconnu comme étant de droite radicale, Vincent Bolloré, qui possède Canal+ (C8 en fait partie), C News, Europe1, le JDD, Paris Match, sans oublier Vivendi et Havas, que sa détermination politique est documentée.
Zemmour, idéologue en chef en cette affaire, affirme que Lola a été tuée parce que c’est une « blonde aux yeux bleus », que « ce n’est pas un fait divers, c’est un fait politique.», ses propos ont été largement repris, nous voyons que la ligne éditoriale de C8 est superposable à sa « pensée ».
La famille de Lola
Le 21 octobre 2022, la famille demandait que « cesse instamment, et soit retirée, toute utilisation du nom et de l’image de leur enfant à des fins politiques ». Ses parents souhaitaient « pouvoir honorer la mémoire de leur fille dans la sérénité, le respect et la dignité qui lui est due » (AFP).
La famille avait appelé dès jeudi à ce que les différentes cérémonies se déroulent « loin des agitations politiques et médiatiques ».
Dix jours après l’assassinat de la jeune Lola, ses funérailles avaient lieu ce lundi 24 octobre après-midi à Lillers, dans le Pas-de-Calais. La famille souhaitait que la cérémonie se déroule « loin des agitations politiques ». Elle avait décidé d’ouvrir ces funérailles au public, tout en réaffirmant à nouveau dimanche soir sa volonté d‘« honorer la mémoire »de Lola « dans la sérénité », « le respect et la dignité », loin de toute agitation politique.
Au son de Georges Brassens, le public a quitté l’église. Le cercueil blanc est lui sorti de la collégiale Saint-Omer de Lillers accompagné par la musique « La goffa Lolita ». « Merci à tous pour votre soutien », a écrit la maman de Lola, dans un message Facebook partagé plus de 20 000 fois.
La haine comme politique, la mort comme drapeau
Il y a donc une continuité en cette occasion entre les discours d’extrême-droite et de droite, entre le RN et les factieux de Zemmour, entre les divagations de l’équipe de Touche pas à mon poste et les propos tenus au Parlement. L’utilisation du visage de la jeune fille Lola4 comme ralliement des fractions les plus radicales de la droite est obscène, la famille endeuillée et réfugiée loin de son domicile l’a dit expressément.
Il serait dangereux de sous-estimer la force de frappe de la campagne de l’empire Bolloré avec Zemmour et accompagnée par le RN et LR, largement préparée par la droite macroniste et surtout le ministre Darmanin11. Sous nos yeux, ce qui se déploie, c’est maintenant une politique de la peur8,9, de la peur de l’étrangère, de la haine de l’autre.
Cette politique, ici et maintenant, pour exister doit nier un « fait troublant ». La description du crime, du comportement de l’accusée, certains témoignages de proches et de voisins, évoquent un crime commis dans un contexte délirant. Cela reste à démontrer, il faut en savoir plus sur ce que dit et ne dit pas Dahbia B., mais cette hypothèse méritera d’être discutée. Or, c’est cette hypothèse même qui est rejetée avec violence par Cyril Hanouna, et les Zemmour, Pauget et autres. Non pas du fait d’une compétence particulière en psychiatrie, d’une connaissance du monde de la justice, loin de là puisque l’ignorance est avancée comme preuve d’une communion avec un bon sens populaire par ces agitateurs d’extrême-droite- évoquer ainsi un tel bon sens, hier comme aujourd’hui, est en fait une insulte faite au peuple. Et cela s’accompagne d’une série de mensonges : la vie en prison serait trop douce, les hospitalisations sous contraintes se feraient de façon laxiste, alors que les témoignages sur les conditions de séjour dans ces deux types de lieux font l’objet de dénonciations des associations de défense des droits humains, de rapports parlementaires qui se succèdent.
Insistons aussi sur l’affirmation faite que toute déclaration d’irresponsabilité pénale serait contraire au bon sens vengeur. Clairement, c’est une atteinte à un des piliers de la justice, de l’État de droit, cette campagne des droites vise en fait à accélérer le démantèlement de l’État de droit. Cette haine de la folie vient de loin, elle reçut l’onction présidentielle lors du « discours d’Antony » de Nicolas Sarkozy, en décembre 20087,8,9. C’est un populisme pénal qui affirme qu’il faut enfermer, cadenasser, priver de tous droits des personnes désignées comme malades mentaux graves, que tel est l’exigence du bon sens populaire, qui fut déployé, qui connaît un autre souffle à nouveau.
Pour ces tenants d’un populisme pénal : « Si l’accusée avait été expulsée, elle n’aurait pas assassiné Lola », l’argument répété est une tautologie : si elle avait été ailleurs, elle n’aurait pas été ici. Cela permet de sembler apporter une explication, là où la stupeur empêche de penser, là où la relation des faits suscite horreur et incompréhension. Or, on ne comprend pas grand-chose aux faits, à ce jour. C’est une enquête qui permettra d’en savoir plus, peut-être de comprendre ce qui a fait agir ainsi cette femme, sachant qu’il existe des mystères criminels qui restent longtemps irrésolus. Mais ce que nous savons dès à présent, c’est que le temps de l’enquête, le temps du deuil aussi, s’opposent aux décisions à l’emporte-pièce, aux fureurs des démagogues.
Sans doute ces expressions des droites, par l’écho qu’elles semblent susciter sont le symptôme d’une société traversée par des courants contraires parmi lesquels les courants les plus mortifères sont très actifs. « On a vu en Hongrie que de tels partis pouvaient très rapidement affaiblir les principes démocratiques en s’attaquant aux contre-pouvoirs, à la justice, à la presse, à l’opposition, aux universitaires, aux militants des droits humains… transformant le pays en un État autoritaire au sein même de l’Union européenne (UE). »12
Le désigné comme fou, avec sa jouissance étrange, le désigné fou dangereux – désigné comme irrécupérable –, sont des ennemis aussi pour ces extrémistes.
Une enquête regroupant membres de l’USP, du Printemps de la psychiatrie, du Syndicat de la magistrature, de la Ligue des droits de l’homme, du Syndicat des avocats de France et d’autres serait urgente.
Pascal Boissel, 30-10-2022
Notes :
3. https://www.mediapart.fr/journal/france/191022/meurtre-de-lola-digne-emotion-indigne-recuperation
4. https://blogs.mediapart.fr/andre-gunthert/blog/211022/pourquoi-montrer-lola
6. « Baba le barbare » – Le Billet de Sophia Aram https://www.dailymotion.com/video/x8ewkck
12. « L’arrivée au pouvoir de partis d’extrême droite en Italie et en Suède n’est pas une surprise », Le Monde, 30-10-2022
13. https://www.contretemps.eu/crise-capitalisme-ascension-internationale-neofascisme-palheta/