Maladie mentale et actes terroristes : la tentation des amalgames ?

Nous partageons l’émotion suscitée au sein de la population et nous comprenons les préoccupations face au phénomène de radicalisation à l’origine des actes terroristes.

Face à cette horreur, la tentation est grande de donner à penser que nous pourrions avoir prise sur une part de ses causalités en suggérant que ces actes de violence extrêmes pourraient relever, pour partie, d’une pathologie psychiatrique : un tiers de ces personnes, avance-t-on, présenteraient des troubles psychologiques… Le Ministre de l’intérieur vient d’annoncer le chiffre de 20 %. Mais selon quels critères, quelles études épidémiologiques ?

Selon toutes les études internationales, la prévalence des troubles psychiatriques parmi les sujets radicalisés et commettant des actes terroristes est d’environ 5 à 6 %. Selon les données communiquées par l’administration pénitentiaire en 2022, seulement 8 % des personnes incarcérées pour des faits de terrorisme présentent des troubles psychiatriques.

Toutefois certains éléments du discours du Ministre de l’Intérieur nous préoccupent et nous inquiètent : selon ses propos « il y a un ratage manifestement psychiatrique dans le suivi de l’auteur de l’attentat mortel de samedi dernier à Paris … » et il envisage « qu’il faudrait sans doute faire une injonction administrative » pour ces cas.

Pour rappel, les autorités qui suivent les personnes radicalisées disposent depuis des années d’un accès aux dossiers d’hospitalisation sans consentement en psychiatrie et le Représentant de l’État dispose déjà de la possibilité de prononcer une hospitalisation sans son consentement d’une personne pour trouble de l’ordre public.

Ainsi, Monsieur le Ministre, associer les troubles psychiatriques aux actes terroristes est pour le moins hasardeux !

Ce glissement sémantique peut induire implicitement une confusion entre délinquance et maladie mentale, soins psychiatriques, incarcération et injonction administrative et risque d’aggraver la stigmatisation des malades que nous soignons.

Qu’est-ce qui a prévalu chez cet assaillant ? : L’idéologie djihadiste, l’influençabilité de l’auteur ou une pathologie mentale ?
Comme à chaque fois que se produit un grave passage à l’acte de la part d’une personne radicalisée, la Psychiatrie est directement mise en cause et même rendue responsable dans le discours officiel et médiatique.
Comme à chaque fois l’émotion collective appelle à l’impossible anticipation de ces passages à l’acte et à toujours plus de contraintes légales et administratives.

La question du passage à l’acte et des états dangereux fait partie de la clinique psychiatrique et des actions préventives et thérapeutiques des Psychiatres des Établissements Publics qui y sont quotidiennement confrontés et auxquels ils sont constamment attentifs.

Les nouvelles formes de rupture de radicalisation et de violences de masse nécessitent sans aucun doute de larges concertations pluriprofessionnelles au sein desquelles pédopsychiatres et psychiatres auront toute leur place, mais rien que leur place, pour poser un diagnostic, évaluer, comprendre, soigner, accompagner et réinsérer.
Rappelons de surcroit que la psychiatrie publique a subi pendant trois décennies des baisses budgétaires majeures la laissant dans un état d’abandon et de grande fragilité, particulièrement concernant la clinique quotidienne des patients les plus difficiles.


Norbert SKURNIK
Président de l’Intersyndicale de la Défense de la Psychiatrie Publique (IDEPP)
Michel TRIANTAFYLLOU
Président du Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public (SPEP)
Marie-José CORTÈS
Présidente du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH)
Charles-Olivier PONS
Président de l’Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)

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